le 1 juillet 2022
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Malik Oussekine est assassiné à Paris dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, lors d’une manifestation étudiante contre la loi Devaquet. Étudiant à dauphine, il rentrait chez lui, rue Monsieur le prince, quand il s’est fait tabassé à mort par les voltigeurs. Une série de quatre épisodes réalisée par Antoine Chevrollier produite par Disney plus, ravive cet événement et nous donne l’occasion d’en ressuscité un autre.
Le même jour, aux quatre chemins à Pantin, Abdel Benyahia était assassiné par un inspecteur de police judiciaire. Ce policier, ivre, bien que n’étant pas en service, avait conservé son arme de fonction (en 1986 ce n’était pas légal) et sûr de son impunité, a tiré à bout portant sans sommation. Abdel avait 20 ans, il habitait chez ses parents à la cité des 4000 à la Courneuve et faisait un stage d’agent d’accueil et d’information à la cité des sciences de la Villette.
Pourquoi la plateforme Disney+ a-t-elle produit cette série ? Étudiant à Dauphine, amateur de club de jazz, s’intéressant peu à la politique en pleine mobilisation étudiante ; Malik Oussekine incarne la victime consensuelle, un exemple d’intégration. Il n’avait pas bu ni fumé, n’avait pas de casier, ne militait pas, n’a pas été abattu au bas d’une cité HLM ou lors d’un contrôle routier.
Un autre argument à du peser en faveur de la minisérie ; Dans leur regard (When They See Us) d’Ava DuVernay. Mise en ligne en 2019, la réalisatrice utilise, elle aussi, les codes des séries commerciales pour raconter le calvaire judiciaire de cinq jeunes Afro-Américains condamnés à tort pour le meurtre d’une joggeuse. Elle constitue à ce jour un des plus gros succès d’audience de Netflix.
L’histoire retiendra l’affaire de Malik Oussékine et occultera celle d’Abdel benyahia. Le temps construit ces récits et en tait d’autres pour continuer à dissimuler le racisme de classe qui perdure toujours 26 ans après les faits.
Déjà à l’époque, il aura fallu deux jours de révolte dans la cité des 4000 pour qu’une information judiciaire soit ouverte. Les parents et les amis d’Abdel attendront plusieurs jours avant de connaître la terrible nouvelle. Les médias passeront sous silence cet assassinat.
Mais replongeons-nous dans le contexte de cette année 1986. A l’époque, nous sommes en pleine cohabitation. François Mitterrand est Président de la République, Jacques Chirac, devient son Premier ministre après que le RPR ait remporté les élections législatives en mars 1986. Charles Pasqua est alors ministre de l’Intérieur et Robert Pandraud est son délégué à la sécurité. Depuis le 25 novembre 1986, étudiants et lycéens manifestent contre le projet Devaquet.
Un mouvement de jeunesse, des LEP aux facs, déferle dans les rues, un million de manifestants crie leur refus d’un nouveau projet de loi renforçant la sélection dans les universités et l’orientation après la 5ème. Une main arrachée, un œil crevé, un mort, le gouvernement frappe fort. Mais c’est aussi le code du travail qui est réformé en favorisant les licenciements, la flexibilité, les emplois subventionnés et sous-payés (TUC). Ce sont également les lois Pasqua contre les étrangers et la loi Chalandon qui criminalise les consommateurs et petits dealers… Qui viendront peupler ses nouvelles prisons, la création des peines incompressibles pour qu’ils y restent.
Trois jours après les faits, le 10 décembre, le mouvement étudiant, organise une grande manifestation silencieuse, sans slogans, sans banderoles, ce que les pacificateurs appellent « digne » ; c’est-à-dire sans désigner les responsabilités. Les habitants de la Courneuve qui avaient manifesté la veille jusqu’à Pantin, ont rejoint les 200000 manifestants parisiens pour crier leur colère. Ils ont pris la tête du cortège avec des banderoles et le portrait d’Abdel. Pendant que les organisateurs du mouvement étudiant, la famille de Malik et maître Kiejman avocat proche de Mitterrand négocient en haut lieu pour que rien ne change, pour que la police soit blanchit. Du côté de la Courneuve, c’est une toute autre stratégie qui est choisie. Le 10 décembre 1986, Devaquet est remercié, sa loi abrogée et les voltigeurs dissous, pour mieux refaire surface quelques années plus tard.
Immédiatement après la mort de Abdel la famille et les ami(e)s d’Abdel se mobilisent et le resteront jusqu’au procès. Autour se constitue un commité de soutien très actif. Manifestations, meetings rassemblant jusqu’à 2000 personnes, tractage dans la ville, devant les lycées… Informer, rassembler, s’élargir.
Il est intéressant de noter que le comité a su intégrer toutes les tendances et contradictions parmi les jeunes : il n’a pas marginalisé les plus violents, il a compris leurs légitimités et les a intégrés dans la mobilisation qui a touché toute la cité, et au-delà. Des militants autonomes ont participé au comité, sans distinction de couleur, car les violences policières regardent toute la population et surtout celles et ceux que le système capitaliste accule à la débrouille, à la marginalité, à la pauvreté, à la répression.
Un pôle d’Avocats est nommé dont Maître Verges qui participe aux différents meetings, travaille en relation avec la famille et le comité de soutien, informe de l’avancée du dossier, engage à se mobiliser : « Nous sommes surtout là pour protester contre la discrimination, nous ne voyons pas comment à l’avenir vous pourrez jeter un seul jeune ou adulte en prison quand vous laissez le meurtrier d’Abdel en liberté. Le seul recours, c’est l’appel à l’opinion, non seulement à travers des articles dans des journaux équilibrés, mais à travers des manifestations populaires ou vous étés tous réunis ».
Appuyé par les mobilisations à la préfecture et lors de la reconstitution, ont su mener la bataille d’une manière offensive et transparente sur le terrain juridique. Six mois après les faits, le meurtre est requalifié en « homicide volontaire » et Savrey est incarcéré. Lors du procès qui s’est déroulé en novembre 1988, il écopera de sept ans de réclusion.
Les deux policiers dans l’affaire de la mort de Malik prendront cinq ans avec sursis et trois ans avec sursis.
Vous pouvez trouver sur YouTube, « Abdel pour mémoire » un film réalisé par l’agence IM’média. https://youtu.be/UwJrMapSC3c
Lire sur Archive autonome la brochure L’État assassine « meurtres racistes et sécuritaires »
sur internet : RUSH_ARCHIVE_1987.01.0http://Abdel_Benyahia9_ParloirLibre_meeting_Abdel_Benyahia_LaCourneuve_puis_manif_interviews
Nous sommes en studio en compagnie de Nadia, Mogniss et Guy, qui ont vécut les mobilisations pour Abdel Benyahia
Pour un débat : tract diffusé lors du procès le 23 novembre 1988
Nous sommes quelques-uns a avoir participe au comite Justice pour Abdel
et les autres . Si nous sommes, et avons toujours été persuadés de la
nécessite de la mobilisation de masse comme réponse à la violence policière,
nous pensons cependant qu’il y a des contradictions difficiles, voire impossible à surmonter pour que cette mobilisation puisse avoir lieu :
peut on s’allier avec des gens qui participent à la répression ?
1er exemple : l’amicale des Algériens en Europe assume la responsabilité
d’avoir soutenu la répression féroce qui s’est abattue sur la légitime
révolte de la jeunesse algérienne en 86. Pourtant un de ses représentants est
intervenu en toute liberté au meeting du lundi 21 novembre.
2eme exemple : comment admettre le double langage de la mairie qui d’un
coté demande le renforcement de l’appareil policier, et de l’autre « s’indigne »
de la mort d’Abdel ; et appelle par ailleurs publiquement au renfort de la police après
la mort d’Ali Mafhoufi (rappelons que les flics dans cette affaire n’ont même pas été inculpés, l’enquête est apparemment terminée!).
Y a t il de “bons” et de ‘mauvais” flics ? La police est un corps constitué pour la répression. S’il est exact que certains outrepassent leurs droits (ceux qui, ivres, hors service et mal-notés, tirent sans raison sur un jeune!), et peuvent donc être condamnés, en quoi seraient-ils meilleurs ou pire que ceux qui en service vident un chargeur dans le dos d’un gosse, gazent à mort une mère de famille, renversent volontairement un jeune motard et le tue. etc.
La police est un organe néfaste qui historiquement a toujours exécuté les basses besognes de 1’Etat (en se mettant au service de la Gestapo en 1940 1944, en assassinant à Paris des centaines d’Algériens en octobre 1961.
La notion même de bavure est à remettre en question car la justice a depuis longtemps légalisé la violence policière. Ainsi s’est installe le droit de tuer, et ce n’est pas l’éventuelle condamnation de Savrey aujourd’hui qui changera cet état de fait.
Espérons tout de même qu’il soit condamné pour que ceux qui, demain, seraient amenés, dans les mêmesconditions à tirer, y réfléchissent à deux fois ; mais restons vigilant ;
si le flic est en service, et couvert par sa hiérarchie et par ses syndicats
(ce qui n’est pas le cas de Savrey), son crime sera absout, logique sécuritaire oblige ;
la logique du bouc émissaire est aussi nécessaire : Savrey est un assassin, une pourriture difficile à défendre puisque saoul et hors service. De plus il ne peut pas salir Abdel (face à la mobilisation) et en faire un dangereux délinquant comme dans d’autres affaires.
Les syndicats sont muets, cet condamnation est donc logique. Mais il faut aussi savoir quelles conditions de détention sont faites aux flics en taule :
d’une part, remise de peine et libération conditionnelle à mi-peine à tout les coups
(alors que seul 7% des détenu(e)s bénéficient d’une conditionnelle, et encore la plupart du temps quelques mois avant la libération prévue!) d’autre part, conditions de détentions souples dans des centrales modernes (comme Mauzac ou Casabianda), alors que les jeunes des cités sont entassés comme des chiens dans des prisons surpeuplées ou dans des centrales-goulag (Clairvaux, Saint-Maur…).
En clair , les gouvernants d’aujourd’hui, alors que d’autres crimes sont commis par les forces de l’ordre, ont intérêt à condamner Savrey afin de pouvoir redorer leur blason d’anti-raciste.
3) Sur la violence.
Nous ne pensons pas que les réactions violentes des jeunes de la cité soient comme certains le disent, des “réactions indignes” à mettre en opposition avec la dignité du comite.
Au regard de notre objectif que nous espérons commun. à savoir la fin de tous les crimes racistes et sécuritaires, nous ne trouverons
notre dignité que lorsque cette barbarie des crimes racistes s’arrêtera quels que soient les moyens
pour y parvenir. Cela pour le moment, ni les violences de jeunes, si compréhensibles soient-elles, ni la tentative d’organisation dans le comité n’ont réussi à l’atteindre. Il nous reste donc à réfléchir et à avancer
des propositions.
mais il est sûr déjà que seule la mobilisation de la population sur des bases claires (pas d’unité avec ceux qui participent à la répression), des axes de luttes précis, peuvent aider à la prise de conscience de masse du drame que constituent les meurtres racistes et sécuritaires. Pour qu’il n’y ait jamais plus de jeunes comme Abdel, Ali … qui meurent en pleine jeunesse sous les coups des policiers.
Solidarité à toutes les familles des victimes, à tous les comités. Notre victoire sera la fin de la barbarie.