le 19 décembre 2025
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Avant de commencer cette émission et pour mieux comprendre ce qui se joue autour de la mobilisation des agriculteurs faisons un point : Pourquoi dix agriculteurs mettent-il fin à leurs jours chaque semaine en France ? la précarité économique en est une des causes ; les 10 % des ménages agricoles les plus modestes gagnent moins de 10 900 euros par an. 17,7 % des exploitants agricoles vivent sous le seuil de pauvreté, contre 14,4 % parmi l’ensemble de la population, parmi eux ce sont les maraîchers (24,9 % sous le seuil de pauvreté), les éleveurs ovins et caprins (23,6 %) et les éleveurs de bovins allaitants (21,5 %) qui sont le plus touchés. 40 000 fermes ont disparu en seulement 3 ans et avec elles, la capacité de nos villes et villages à produire une alimentation locale et de qualité. De plus la bureaucratisation croissante du métier, la concentration des exploitations, la pression accrue à la productivité, la standardisation technique, la concurrence internationale, finissent de les achever.
Alors quand une épizoologie vient s’ajouter à tout ça, c’est la colère qui explose. Quand l’État et la FNSEA imposent l’abattage de tout le troupeau quand une bête est touché, les routes se bloquent, les préfectures sont attaquées, les paysans se mobilisent. Et toutes ces bêtes tuées juste pour garantir l’exportation.Si l’objectif premier du secteur agricole est le profit et pas de nourrir l’ensemble de la population, comment s’étonner que les animaux soient traités comme de la matière première et non comme des êtres vivants méritant une vie et une mort digne ? Comment s’étonner que les conditions de vie et de travail des salariés soient si peu prisent en compte ?
Ce mouvement est largement documenté par les acteurs eux même sur les réseaux sociaux. Nous en avons sélectionné de nombreux extraits et nous entendrons également un entretien réalisé avec un éleveur de brebis du Tarn-et-Garonne, qui à participé au mouvement de colére actuelle. pour que les habitants des grandes villes et de ces banlieues puissent mieux comprendre les raisons de la colère d’une réalité rurale mal connue mais qui souffre des même maux. Nous sommes tous et toutes concernés !
Alors que les actions d’agriculteurs-trices se multiplient contre les abattages liés à la dermatose nodulaire, une colère plus large semble ressurgir. À la croisée d’une crise sanitaire, d’un modèle agricole fragilisé par l’agro industrie et des négociations commerciales avec le Mercosur, le monde agricole pourrait-il replonger dans une mobilisation d’ampleur ? A Bruxelles ils étaient 10000 à converger de toute l’Europe pour s ‘opposer aux traité de libre échange. Leur colère a explosé, la ministre à beau dénoncer l’infiltration de casseurs, c’est prendre les paysans pour des cons et ne pas prendre la mesure des problèmes.
Le capitalisme détruit les petits pour enrichir les gros. Il en est ainsi quand il s’agit de payer leurs guerres et leurs déficits. Les petits paysans sont sacrifiés au profit des grosses exploitations. Les multinationales tuent les artisans et les petites et moyennes entreprises. Des secteurs entiers sont délocalisé, la nature dépecé… A quand une alliance de tous les dépossédés ?
L’abattage des troupeaux est une aberration !
A l’heure où nous écrivons ce texte, la préfecture de l’Ariège ordonne l’abattage de 208 bovins sains, parce qu’une vache du troupeau a été testée positive à la dermatose nodulaire contagieuse, selon le protocole actuellement en vigueur en France et dans l’Union Européenne.
Au prétexte d’endiguer la crise, l’État nous propose une solution aussi simple qu’abjecte : Les tuer toutes !
Un protocole drastique, dont les objectifs réels sont clairs : protéger les exportations. La France est effectivement le premier exportateur d’animaux vivants au monde. Une politique de vaccination totale signifierait l’arrêt des exportations pendant 14 mois. La décision de l’abatage total répond uniquement au maintien du statut « indemne » de la France aux yeux de la communauté internationale et non à une volonté de préservation de santé publique.
Les abattages sans discernement se poursuivent pour sauvegarder les intérêts des grandes filières qui concentrent toujours plus les cheptels, alors que des alternatives ont été proposées pour endiguer la maladie, comme par exemple l’euthanasie uniquement limitée aux animaux malades, avec vaccination, mise en quarantaine et suivi vétérinaire.
Dans le système dans lequel nous vivons, la production agricole doit, comme toutes les autres être rentable. A cette fin, la productivité doit croître : il faut élever plus, sélectionner plus, spécialiser plus, faire plus vite, plus lourd, plus gras… Tout cela en réduisant en permanence « les coûts de productions ». Une course à la productivité, à la « technicité » que le syndicat agricole majoritaire (FNSEA) plébiscite, n’ayant que faire des enjeux sanitaires à long terme, de la vie des animaux, ou de l’impasse dans laquelle nous nous trouverons lorsque nos ressources seront totalement épuisées.
Ce système est responsable de la crise sanitaire que traverse l’élevage.
La sur sélection des animaux les rends plus fragiles, leur concentration dans des fermes toujours plus grosses favorisent la circulation des virus. L’augmentation des flux commerciaux et l’aggravation du réchauffement climatique participent également à la prolifération des épidémies.
Les petit·e·s exploitant·e·s agricoles qui souhaiteraient « produire autrement » se retrouvent aussi embarqué·e·s dans cette course à la production et ses conséquences. Dans ce monde, il s’agit non pas de produire de la nourriture de qualité mais bien de faire du profit pour assurer la rentabilité des entreprises.
Si l’objectif premier du secteur agricole est le profit et pas de nourrir l’ensemble de la population, comment s’étonner que les animaux soient traités comme de la matière première et non comme des êtres vivants méritant une vie et une mort digne ?
Nous ne sommes pas surpris qu’une production régie par les lois de la performance économique se soucie si peu de la vie. Les conditions de vie et de travail des salariés de la production agricoles témoignent aussi de cette réalité.
Aujourd’hui de nombreux agriculteurs et éleveurs sont mobilisés. Certains appartiennent à
des organisations dont nous ne partageons ni les valeurs, ni le projet politique : jamais nous ne crierons d’une même voix. Nous regrettons que la défense de ces animaux ne soit pas corrélée à la défense d’une production dirigée vers la satisfaction des besoins et non des profits.
Salarié·e·s de l’élevage, nous revendiquons un autre rapport à la production, un autre rapport aux animaux.
Une autre agriculture est possible, affranchie des rapports de production capitalistes. S’extraire des logiques de profit et de l’exploitation humaine et animale est la condition sine qua non pour une agriculture qui respecte les vivants : humains et animaux.
Travailleurs et travailleuses de la production agricole, nous battre contre ces logiques mortifères c’est aussi se battre contre les logiques de profit qui régissent notre travail.
Avec les producteurs qui le souhaitent, il nous appartient de penser un futur où les animaux ainsi que celles et ceux qui vivent avec pourront vivre dans la dignité.
Syndicat des Gardien·ne·s de Troupeaux
FNAF CGT s g t c g t . n o b l o g s . o r g
LEPOING
Alors que les actions d’agriculteurs-trices se multiplient contre les abattages liés à la dermatose nodulaire, une colère plus large semble ressurgir. À la croisée d’une crise sanitaire, d’un modèle agricole fragilisé et des négociations commerciales avec le Mercosur, le monde agricole pourrait-il replonger dans une mobilisation d’ampleur ?
« L’État nous respecte pas, nous non plus. ». Le message affiché sur une banderole accrochée ce vendredi 12 décembre à la grille de la sous-préfecture de Lodève ne laisse que peu de doutes. La colère agricole refait surface.
Des actions dans l’Aude, l’Aveyron et l’Hérault
La Coordination Rurale* de l’Hérault menait une série d’actions dans la petite ville visant les deux entrées du bâtiment officiel et le centre des impôts. En soutien aux éleveurs-euses en Ariège victimes d’abattage de troupeaux ayant contracté la dermatose nodulaire.
À Béziers, deux agriculteurs étaient interpellés suite à l’incendie du portail de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), samedi 13 décembre 2025 au matin. Le dispositif de police a été renforcé sur la ville. « Toutes les unités de police BAC, CDI, BST, GSP sont mobilisées et équipées, les brigades en repos sont rappelées », précisent les autorités. Une délégation devait être reçue dans l’après-midi par le préfet de l’Hérault, à Montpellier. Deux ans après l’intense révolte agricole de l’hiver 2023-2024, cette multiplication des blocages présage-t-elle d’une nouvelle flambée de colère ? Les actions se multiplient depuis quelques semaines dans tout le pays contre la gestion de l’épidémie de dermatose nodulaire. Dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 décembre, des centaines de manifestant-es tentaient d’empêcher la mise à mort d’un troupeau. Une vache y avait été repérée comme contaminée, dans une ferme de Bordes sur Arize en Ariège. Soit le département où les agriculteurs-trices ont le revenu moyen le plus faible, 765 euros mensuels en 2021 selon l’Insee.
D’où d’intenses affrontements avec les forces de l’ordre, déployées par centaines. Ces dernières n’ont pu accéder au troupeau qu’à grand renfort de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement, avec l’appui de blindés de la gendarmerie. Le rassemblement de soutien avait été appelé par la Coordination Rurale et la Confédération Paysanne**. Avec des appels à soutien du mouvement écologistes Les Soulèvements de la Terre. Des groupes d’extrême droite, comme l’Action française, étaient également présents.
Dans la foulée la Confédération Paysanne lançait ce vendredi 12 décembre un appel à généraliser les blocages. En Ariège, le lendemain, près de 150 agriculteurs-trices coupaient la RN20 qui mène au Pas-de-la-Case en Andorre. Pour un blocage sans limite.
Un blocage est aussi en cours sur l’A64 au niveau de Carbonne, près de Carbonne. «S’il faut rester jusqu’à la Noël, on le fera», promet un jeune ouvrier agricole mobilisé au Figaro. C’est exactement à cet endroit qu’avait commencé le durcissement du mouvement de l’hiver 2023-2024, avec un très long barrage lancé depuis une manifestation toulousaine par un adhérent de la FNSEA***, Jérôme Bayle, fondateur par la suite des « Ultras de l’A64 », dont la liste asyndicale a remporté la chambre d’agriculture de Haute-Garonne en février 2025.
D’autres blocages et manifestations ont eu lieu au Pays Basque, en Aveyron, en Lozère, dans les Bouches-du-Rhône, dans le Doubs…
Un peu avant 18h, toujours ce samedi 13 décembre, le ministère de l’Intérieur recensait 43 actions en cours, rassemblant 2.000 personnes environ. Laurent Nuñez a répété que les forces de l’ordre devaient faire preuve de “souplesse” et de “tact” . Il a également demandé des interventions de la police ou de la gendarmerie en cas de “violences” et “d’exactions”.
Une gestion « plus effrayante que la maladie elle-même »
Le déclencheur de cette agitation est la gestion jugée brutale de la crise sanitaire liée à la dermatose nodulaire. Contacté par Le Poing, Dominique Soulié, de la Confédération Paysanne de l’Hérault, revendique avec son syndicat la fin de la suppression totale des troupeaux dès qu’une ou quelques bêtes sont contaminées, et plaide pour une vaccination élargie sur la base du volontariat. Au niveau national, la Conf’ dénonce une gestion « plus effrayante que la maladie elle-même ».« On sait que l’abattage systématique ne marche pas, la maladie continue à s’étendre. », défend-il. Pour Jean-Marc Sabatier, chercheur au CNRS, « des mesures alternatives existent, dont l’isolement temporaire des animaux malades ou des traitements symptomatiques combinés. » Jean-Marc Sabatier était cité dans une enquête de Marianne au titre évocateur, “Antivax, complotistes, partisans de la biodynamie, fans d’OVNI ou de guérisseurs… Ces scientifiques du CNRS en roue libre”, publiée le 1er juin 2025. Il y était désigné comme “personnage important de la désinformation autour de la vaccination”. Aujourd’hui, quatorze mois sont nécessaires pour regagner le statut «indemne» après le vaccin. « Avant d’être une mesure sanitaire, c’est une mesure économique, pour pouvoir permettre aux exportations de ne pas être bloquées par les normes européennes. », enchaîne Dominique Soulié. La maladie touche désormais quatre départements en Occitanie, poids lourd de l’élevage en France : les Pyrénées-Orientales, l’Ariège, les Hautes-Pyrénées et la Haute-Garonne, où un cas a été annoncé vendredi.
La Coordination Rurale et le Modef**** portent des revendications semblables à celles de la Confédération Paysanne sur la dermatose. Les trois syndicats se retrouvent ensemble sur les rassemblements.
Le gouvernement craint contamination et blocage des exports
« Pour sauver toute la filière, l’abattage est la seule solution » , a estimé la ministre de l’Agriculture Annie Genevard ce samedi 13 décembre au matin. La ministre met en avant une stratégie qui aurait fait ses preuves en Savoie et Haute-Savoie où la dermatose est apparue en France, en juin. Quant à une vaccination générale, elle s’est dite « ouverte au dialogue […] On va commencer par étendre la zone vaccinale, autour des foyers de contamination ». Les pouvoirs publics craignent une contamination à grande échelle du cheptel français. Ou des difficultés à l’export en cas de vaccination large. La dermatose est non transmissible à l’humain, mais peut entraîner la mort des animaux. Jacques Guérin, président du conseil national de l’ordre des vétérinaires, estimait auprès de l’AFP que « si le modèle sanitaire français est mis à mal, l’impact pour la totalité des éleveurs sera terrible », dénonçant par ailleurs des « pressions inacceptables » sur les professionnel-les chargé-es par l’État d’abattre des troupeaux. Annie Genevard devrait échanger prochainement par visioconférence avec des élu-es des zones concernées par les foyers de dermatose.
La FNSEA, alignée sur le gouvernement
La voix dissidente dans le paysage syndical est celle de la FNSEA. Le patron de l’organisation appelle les éleveurs-euses à la « responsabilité » face à la crise, et le syndicat épouse la position du gouvernement, évoquant « un consensus scientifique ». Idée battue en brèche par Jean-Luc Mélenchon, qui déclarait ce samedi 13 décembre que « des institutions scientifiques et professionnelles estiment qu’on peut faire autrement ».
Une crise qui touche un secteur en grande difficulté
La crise de la dermatose touche un secteur où les revenus sont particulièrement bas. Selon l’INSEE, le revenu agricole moyen était en 2021 de 1 910 euros par mois. Avec d’énormes disparités : « 40% sont de grandes entreprises agricoles et font partie des franges économiques de la bourgeoisie et l’élite agricole, viticole, appartient même aux cercles de la grande bourgeoisie. Mais il y a aussi toute une partie à revenus faibles, voire très faibles, malgré un patrimoine qui les distingue des ouvriers, dont ils sont proches culturellement », expliquait au Monde Gilles Laferte, de l’Inrae, en février 2024. Ce dernier parle de « classe populaire à patrimoine ». Selon l’INSEE, le taux de pauvreté des personnes vivant dans un ménage agricole atteignait 16,2 %, contre 14,4 % pour l’ensemble de la population. Et grimpait jusqu’à 25% pour les éleveurs-euses bovins. Géographiquement parlant, Lucien Bourgeois, économiste spécialiste des questions agricoles, situe les plus grandes difficultés dans le Sud et le Sud-Ouest. Les éleveurs-euses de petits cheptels de vaches allaitantes dans le Massif central ou dans les Pyrénées étant parmi les plus modestes.
Selon le « Portrait des professions en 2022 », publié par l’INSEE le 29 avril 2024, les agriculteurs-trices travaillaient en moyenne plus de 54 heures par semaine. La moitié d’entre eux déclaraient travailler le soir, 1 sur 5 de nuit, et près de 9 sur 10 le week-end.
« La politique agricole du moment c’est de tout détruire »
Cette situation résonne avec une autre crise : celle de la viticulture méditerranéenne. Le 15 novembre, une manifestation réunissait 7000 personnes dans les rues de Béziers. Les régions viticoles les plus en difficulté (ex-Languedoc-Roussillon, Sud-Ouest, Bordelais) produisent surtout du rouge. « Le rouge ne se vend plus, les gens veulent du blanc et des bulles », expliquait à Reporterre Sophie Bataillard, 48 ans, vigneronne et porte-parole de la Confédération paysanne dans l’Aude. Le ministère de l’agriculture a annoncé fin novembre une aide de 130 millions d’euros pour financer l’arrachage de vignes. « La Coordination Rurale de l’Hérault, aux côtés des viticulteurs, a dénoncé l’arrachage imposé, la chute des prix et l’inaction des pouvoirs publics face à la crise. », communiquait la CR 34 quelques jours après la manifestation biterroise. « Les producteurs exigent un véritable plan de sauvegarde de la viticulture, le maintien des droits de plantation et des prix rémunérateurs pour vivre dignement de leur travail. » « Près de 15 000 emplois vont être supprimés dans les entreprises autour de la viticulture. », s’insurge Didier Gadéa, viticulteur à Montagnac et président du Modef dans l’Hérault. Thomas Puig, représentant des salariés de la filière viticole au conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, évoquait lui fin novembre 2025 le chiffre approximatif de 35 000 emplois menacés. « C’est un plan social de la viticulture, qui laissera dans la misère de nombreuses familles et villages. De grands groupes comme des groupements de producteurs-trices, des gros-ses propriétaires, des négociant-es, profitent d’opportunités pour continuer de planter et fournir le marché à des prix toujours plus bas, avec l’aide d’argent public. », constate Didier Gardéa.
Le Modef revendique des prix planchers, fixés et garantis par l’État. Mais aussi l’abandon du plan d’arrachage, et des aides à la plantation de cépages résistants. « Comme avec les vaches, la politique agricole du moment, c’est de tout détruire. », rebondit Dominique Soulié de la Confédération Paysanne. Son syndicat ne participait pas à la mobilisation du 15 novembre, en désaccord avec les mots d’ordre portés par le syndicat des vignerons, les Jeunes Agriculteurs, les Vignerons Indépendants et la coopération. « On propose 4000 euros par hectares aux viticulteurs-trices pour l’arrachage, mais à côté de ça on donne des primes pour replanter. Sans perspective. Personne n’a envie de travailler sur ce que pourrait être l’agriculture méditerranéenne de demain »
Une décision sur le Mercosur dans quelques jours
Ces choix nationaux s’inscrivent dans un cadre plus large : celui du libre-échange européen. Les États européens doivent se prononcer, entre le 16 et le 19 décembre, sur la signature de l’accord entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). Pour ce qui pourrait devenir la plus grande zone de libre-échange jamais mise en place par l’UE. Accord contre lequel les agriculteurs-trices français sont très mobilisé-es, avec une opposition syndicale unanime. La France s’oppose à une signature sans garanties. Parmi les exigences : une clause de réciprocité interdisant l’import de produits traités avec des produits phytosanitaires interdits dans l’Union Européenne. « On estime que l’alimentation et l’agriculture devraient être sortis des traités de libre-échange », explique Dominique Soulié pour la Confédération Paysanne. « Et celui-ci est d’autant plus problématique qu’on sait bien que les productions d’Amérique du Sud sont faites selon des normes très différentes, très axées agriculture intensive. » La Coordination Rurale de l’Hérault défend quant à elle des traités bilatéraux plus ciblés. Le texte que les dirigeant-es de l’UE et du Mercosur signeront est en fait un « accord provisoire », qui devra être ratifié par le Parlement européen. Ce processus pourrait être bloqué par deux autres votes parlementaires, qui se tiendront tous deux au cours des premiers mois de 2026. De quoi intensifier les enjeux d’une contestation agricole.
Depuis l’hiver 2023-2024, la donne a changé
Le mouvement de l’hiver 2023-2024 s’était interrompu après l’appel de la FNSEA à lever les blocages. Depuis, les équilibres syndicaux ont évolué. Lors des élections de 2025 aux Chambres d’agriculture, la FNSEA est restée majoritaire mais a perdu une quinzaine de chambres, au profit notamment de la Coordination Rurale et de la Confédération Paysanne.
Le soutien de la Coordination Rurale à la loi Duplomb a laissé un goût amer à plus d’une personne. Mais ces recompositions rendent l’issue d’un éventuel nouveau mouvement d’ampleur particulièrement imprévisible. En attendant, la Confédération Paysanne de l’Hérault appelle déjà à une nouvelle action. Le rendez-vous est à 8h, ce dimanche 14 décembre, à l’espace La Cadoule de Vendargues. Objectif : bloquer le rond point d’autoroute entre Vendargues et Baillargues, toute la journée, voir sur plusieurs jours.
*La Coordination Rurale est le second syndicat d’agriculteurs-trices, regroupant des petits et moyens exploitant-es en situation de fragilité sur le marché des filières de l’agro alimentaire. Elle est très critique du syndicat majoritaire, la FNSEA. De plus en plus de ses cadres affichent leur proximité avec l’extrême-droite. Le syndicat tend à radicaliser sa ligne anti-écolo, dans un contexte où le monde paysan se trouve de plus en plus pris en tenaille entre les aspirations écologiques de la société civile et la crise agricole. Non sans nuances. Serge Zaka, docteur et chercheur en agroclimatologie auquel le média écologiste Reporterre consacrait un portrait en mars 2023, est régulièrement l’invité de discussions organisées par des sections locales de la CR. La CR34 et les membres du parti Les Écologistes se retrouvaient en août pour une discussion sur les enjeux agricoles. Avec des points d’accord, en matière de rejet des mégas-bassines, de lutte contre la bétonisation, de distribution des aides de la PAC, dans la foulée d’actions virulentes menées par le syndicat après des propos de Sandrine Rousseau jugés provocateurs « J’en ai rien à péter de la rentabilité des agriculteurs. », avait déclaré cette dernière interrogée à propos de la loi Duplomb visant à réduire les contraintes réglementaires des agriculteurs-trices pour l’usage des pesticides, adoptée le 8 juillet 2025
**Troisième syndicat agricole, classé à gauche, qui organise des petit-es et moyen-nes exploitant-es, avec une bonne proportion d’exploitant-es en reconversion, souvent attiré-es par la très forte identité agro-écologique mise en avant par l’organisation.
***La FNSEA est le principal syndicat agricole, et revendique 212 000 adhérents-es sur 400 000 exploitant-es. Plus 50 000 chez les Jeunes Agriculteurs, son « antichambre » qui regroupe les moins de 35 ans. Les Jeunes Agriculteurs peuvent suivre une ligne autonome. En 2019 ils remportaient la Chambre d’Agriculture de Guadeloupe avec le Modef, contre la FNSEA. En 2025 sa section corse avait envisagé une alliance avec la Coordination Rurale. La FNSEA syndique des exploitant-es de toutes tailles, inséré-es dans les filières agro-alimentaire, mais défend les intérêts des plus gros-ses. Ce qui est très visible dans sa défense d’une attribution des aides de la PAC à l’hectare plutôt qu’à l’exploitant-e. Elle est dirigée par Arnaud Rousseau, à la tête d’une immense exploitation agricole de plus de 700 hectares. L’homme est aussi président du groupe agro-industriel Avril, qui regroupe Lesieur, Puget. Il est actif dans l’alimentation des animaux d’élevage, les agrocarburants ou encore la chimie des huiles et protéines végétales, et président du Conseil d’Administration de Sofiprotéol, qui finance des crédits aux agriculteurs.trices. La FNSEA est une organisation tentaculaire sans équivalent en dehors de l’agriculture. Elle a un contrôle sur une bonne partie de la presse spécialisée. Elle fournit des services à ses adhérent-es, et est présente dans de nombreux organismes encadrant le monde agricole, comme le Crédit Agricole ou la Sécurité Sociale agricole, la MSA. Si bien qu’on peut y adhérer sur une logique d’un « il vaut mieux en être ».
****Le Mouvement de défense des exploitant-es familiaux, ou Modef, classé à gauche, syndique principalement des petit-es agriculteurs-trices, quel que soit leur mode de production. Tout en défendant une transition écologique. Le syndicat est aujourd’hui affaibli, en dehors de quelques bastions comme les Landes, la Martinique ou la Guadeloupe.
Communiqué d’éleveurs et éleveuses des Soulèvements de la terre
Nous en sommes à 3000 bêtes abattues avec des pressions punitives invraisemblables des pouvoirs publics. Les élevages touchés depuis le début de l’épidémie sont sacrifiés, non pas en raison d’une rationalité sanitaire (il existe des stratégies alternatives d’endiguement de l’épidémie), mais pour maintenir le statut commercial dit “indemne” de la Ferme France et ainsi préserver les intérêts financiers des exportateurs. Ce que ne saisit pas la froide logique bureaucratique, c’est qu’un troupeau n’est pas “substituable” : la perte n’est pas seulement celle d’un outil productif qu’on pourrait remplacer une fois le foyer “éteint”. Le troupeau et sa lente sélection, construction, sur plusieurs générations, est ce qui fait la singularité quasi artisanale du métier d’éleveur, que rien ne viendra remplacer. La destruction intégrale d’un troupeau est l’anéantissement des décennies de travail paysan et de compagnonnage sensible avec ses bêtes.
Nous, éleveurs et éleveuses de la Coordination agricole des Soulèvements de la Terre, appelons à nous opposer et à mettre fin à cette aberration, par tous les moyens nécessaires et adéquats, et à rejoindre les blocages organisés partout à travers le pays.
Aux dirigeants du syndicalisme prétendument majoritaire qui nous accuseraient d’être “irresponsables”, nous répondons que l’irrationalité sanitaire n’est pas du côté de ceux qui résistent de toutes leurs forces aux massacres de leurs troupeaux.
Aux dirigeants de la FNSEA qui nous appellent à la « responsabilité », nous répondons que l’irresponsabilité sanitaire est dans le choix répété de tout miser sur les marchés mondiaux. Les conséquences économiques à court terme d’une gestion raisonnable de l’épidémie, mettant en risque l’exportation massive de bétail, devrait être une occasion de repenser notre modèle agricole . Tenir ceux qui résistent de toutes leurs forces aux massacres de leurs troupeaux pour responsables des folies de l’agro-industrie est aussi indécent que scandaleux.
Le refus des autorités de mettre en place, au-delà des mesures de “dépeuplement” qui commencent à démontrer leur inefficacité, de réelles mesures préventives à la catastrophe sanitaire qui se profile avec le retour en masse après l’hiver des insectes hématophages, vecteurs de la maladie, met en danger la totalité des troupeaux du pays. Il y a urgence à rendre possible le déploiement des protocoles sanitaires alternatifs proposés par de larges pans de la profession agricole : travail sur l’immunité collective des animaux, surveillance renforcée, euthanasie des seuls animaux souffrants « pour abréger leur souffrance », positifs à la DNC, campagne de vaccination élargie et accessible à l’ensemble des fermes qui le souhaitent…
L’entêtement du gouvernement, l’inflexibilité du ministère de l’agriculture et des dirigeants de la FNSEA sont incompréhensibles si on ne saisit pas combien il ne s’agit pas là de politique sanitaire mais d’une arme du libre-échange, et combien c’est l’ensemble des dispositifs de gestion par les normes étatiques de la production animale qui s’appuient sur le “dépeuplement” comme arme de police administrative. Reculer à cet endroit ne serait pas seulement, pour le pouvoir, contraire aux intérêts des notables de la Fédération Nationale bovine, mais fragiliserait toute l’architecture du maintien de l’ordre dans nos campagnes. Il faut rappeler que le funeste destin de la fermeture administrative et du dépeuplement est ce qui, aujourd’hui, menace les élevages paysans et la polyculture élevage toute entière (en particulier l’élevage plein air de volailles et de porcs), pour lesquels il est le plus souvent impossible de se mettre en conformité avec des normes biosécuritaires taillées pour les filières industrielles : rappelons nous que de simples “non-conformités” aux règlementations en matière de biosécurité, de traçabilité et d’identification animales peuvent et ont déjà entraîné par le passé des abattages de cheptel, et nous comprendrons la centralité politique d’un tel dispositif. La remise en cause du dépeuplement comme arme souveraine du complexe agro-industriel pour mettre au pas les fermes et les pratiques faisant obstacle à son hégémonie et à ses intérêts ouvre ainsi aussi une brèche, une fenêtre de tir stratégique pour s’attaquer aux emprises bureaucratiques commandées par une rationalité industrielle et mercantile qui n’admet ni menace ni altérité.
La révolte en cours a lieu dans un réel contexte extrêmement inquiétant de démultiplication d’épizooties et de zoonoses dont l’émergence et l’expansion sont largement provoquées par des ravages environnementaux qui font tomber une à une les barrières écologiques qui constituent des freins à de telles pathologies (fièvre catarrhale ovine, maladie hémorragique épizootique, tuberculose bovine, dermatose nodulaire contagieuse, salmonelles, influenza aviaire, peste porcine africaine…). La destruction des écosystèmes, en éclatant les barrières inter-espèces, induit une prolifération de zoonoses, de sauts des pathogènes entre les espèces… L’appauvrissement de la biodiversité domestique fait également tomber un certain nombre de barrières immunitaires … Le réchauffement climatique est en grande partie responsable de l’expansion des maladies vectorielles (contre lesquelles les solutions d’éradication totale des insectes vecteurs demeurent des vues de l’esprit)… La concentration animale, l’hypersegmentation des filières et l’augmentation des flux industriels et internationaux d’animaux, où on passe constamment d’une unité spécialisée à une autre, avec des sites éloignés géographiquement, jouent comme des catalyseurs et accélérateurs pour l’expansion des maladies… De manière connexe, l’effondrement des populations de petits gibiers au profit de quelques espèces généralistes conduit les sociétés de chasse à se “spécialiser” dans le gros gibier (notamment le sanglier) qui devient lui-même l’objet d’un élevage “de masse” qui ne dit pas son nom, entraînant des surpopulations (les populations de sangliers ont été multipliées par 5 en 20 ans) impliquant des problèmes sanitaires dans les élevages (Peste Porcine Africaine, Brucellose…)…
Les politiques biosécuritaires d’Etat, se réduisant à de pures opérations de police, font indûment peser l’entièreté de la responsabilité des risques sanitaires sur les exploitations individuelles pour éviter une remise en cause du système de production industrielle, ce qui revient à invisibiliser la dimension socio-écologique et systémique de ces épizooties. Il n’y aura pas de salut sanitaire pour nos fermes sans une massification de l’agroécologie paysanne et sans reprise en main par les producteurs et restructuration des filières d’élevage.
Nous appelons ainsi à rejoindre et renforcer les blocages et actions organisés par nos camarades de la Confédération paysanne. La gravité et l’urgence de la situation nous fera peut-être nous tenir aussi aux côtés des adhérent-es de la Coordination rurale. Nous ne comprenons que trop et nous partageons la colère de ceux qui ne veulent plus qu’on les « laisse crever » en silence. Mais il est important de clamer que le poison identitaire que les dirigeants de la Coordination rurale inoculent dans les campagnes, en nous rendant aveugles aux désastres écologiques et sociaux qui s’amoncellent autour de nous, nous condamne à moyen terme aussi sûrement que la FNSEA.
La longue agonie de la classe paysanne ne s’arrêtera pas par la dérive corporatiste et la fuite en avant dans l’intensification productiviste et par la recherche frénétique de nouvelles armes compétitives dans une guerre commerciale internationale perdue d’avance. Seule une politique d’autonomie paysanne et de souveraineté alimentaire articulée à un vaste mouvement social de masse, à une alliance des classes populaires contre le complexe agro-industriel et le libéralisme autoritaire, nous permettra de tirer le frein d’urgence et d’interrompre la marche forcée vers notre disparition.
Les éleveurs et éleveuses de la coordination agricole des Soulèvements de la Terre
jeudi 24 juillet 2025
Depuis quelques jours, l’État impose l’abattage systématique de troupeaux entiers de bovins là où un cas de dermatose nodulaire contagieuse est détecté. Cette maladie se transmet aux animaux par des insectes (taons, mouches) et peut impacter la production et la compétitivité de « la Ferme France » mais elle ne présente aucun risque pour les humains. On ne peut que constater que le « principe de précaution » est une nouvelle fois appliqué selon une géométrie variable, au moment même où les parlementaires et le gouvernement cherchent à réintroduire via la loi Duplomb des pesticides parmi les plus dangereux pour la biodiversité, les agriculteur·ices et la population.
Comme le rappelle notamment la Confédération Paysanne, d’autres stratégies de lutte contre cette épizootie sont possibles : l’abattage ciblé des animaux malades couplé à une politique vaccinale ont donné de très bons résultats ailleurs. La méthode privilégiée par les autorités, l’abattage systématique, vient en fait illustrer comment pandémies animales et élevage industriel sont liés, pour le plus grand malheur des paysan·nes.
En 2020, quelques jours à peine avant que la Covid-19 et les mesures de confinement ne balaient le débat public, l’ONG GRAIN publiait un dossier intitulé « L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série » : une étude de cas sur la vague de peste porcine africaine (PPA) montrant comment les fermes-usines et le commerce mondialisé de viande industrielle furent les principaux vecteurs de diffusion des maladies en Russie et en Europe de l’Est, et comment les multinationales de la viande ont profité des mesures radicales de lutte qui frappèrent la paysannerie [2].
Ici, en France, la situation peut sembler différente, l’abattage préventif se « limitant » aux cheptels où un cas est identifié. Mais une même logique sous-tend ce type de stratégie sanitaire : la considération des troupeaux comme un simple « capital » substituable par un autre. Des têtes de bétail pourraient remplacer celles abattues, sous réserve que les compensations financières soient à la hauteur. Le troupeau est-il d’une génétique particulièrement recherchée ? Il suffit dès lors de valoriser cela à la hauteur de l’investissement effectué, comme pour toute autre technologie.
Cette logique d’économiste, qui raisonne selon un principe d’interchangeabilité en fonction d’une valeur marchande, méprise la réalité de l’élevage paysan. Elle ignore le rapport sensible de l’éleveur ou de l’éleveuse à ses bêtes, elle balaie le patient travail de sélection d’un troupeau : elle considère des vaches comme de simples « unités gros bovins » remplaçables par d’autres, dès lors que l’État ou une assurance privée verserait une indemnité compensatoire.
Nous sommes en 2025 et il faut le rappeler plus que jamais : tout ne se compense pas. Lorsqu’un paysan ou une paysanne perd l’intégralité de son troupeau, c’est le résultat d’années de travail et de passion qui part dans les fumées de l’entreprise d’équarrissage. C’est le sens même accordé à cette activité qui est traité avec un mépris technocratique. Et c’est souvent une vie professionnelle mais aussi intime qui se brise, et une ferme de plus qui part à l’agrandissement.
Cette « crise dans la crise » survient au moment-même où des chiffres officiels [3] viennent confirmer une fois de plus l’effondrement de l’élevage bovin en France : le ministère de l’Agriculture estime en effet que 17 % de fermes laitières et 9 % d’élevages de vaches allaitantes ont disparu entre le recensement de 2020 et l’enquête « Structures » de 2023 – et encore, sans compter toutes les petites fermes considérées comme des « micro-exploitations ». Des fermes en moins et, malgré la concentration croissante des exploitations, une diminution du cheptel : respectivement -6 et -7% en seulement trois ans.
En se bornant à procéder à de l’abattage systématique, les autorités font une fois de plus le choix de sacrifier des paysannes et des paysans, et leurs savoir-faire, sur l’autel de la compétitivité agricole industrielle.
En Haute-Garonne, la crise épidémique réveille le profond malaise du monde agricole
Les agriculteurs du département bloquent depuis vendredi 12 décembre une portion de l’autoroute entre Toulouse et Tarbes. La contestation du protocole d’abattage de bovins mis en place pour lutter contre la dermatose nodulaire contagieuse est la partie immergée d’un iceberg de colères et d’inquiétudes face à l’avenir.
Emmanuel Riondé 13 décembre 2025 à 19h48
Carbonne
Carbonne (Haute-Garonne).– Au lendemain de l’abattage de 207 vaches aux Bordes-sur-Arize (Ariège), un nouveau troupeau de bovins a été entièrement abattu samedi 13 décembre au matin à Touille (Haute-Garonne). La veille, la préfecture avait fait savoir en fin d’après-midi, par communiqué, qu’un foyer de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) avait été détecté dans le département.
Peu avant, la sortie 27 de l’autoroute A64, à Carbonne, entre Toulouse (Haute-Garonne) et Tarbes (Hautes-Pyrénées), était bloquée dans le sens Toulouse-Tarbes, par près de 200 agriculteurs. C’était déjà le point de fixation lors de la mobilisation du monde agricole en janvier 2024. Depuis, la vallée de la Garonne est aux avant-postes de la crise de la DNC. Des Pyrénées-Orientales aux Landes, tous les départements du Sud-Ouest sont en zones réglementées et vaccinales.
Samedi matin, il est 9 h 30 et quelques dizaines de paysans sont toujours là. Un feu, un point « café/croissant/chocolatine », un braséro, un sapin de Noël planté sur un coin de remorque. Et 38 tracteurs alignés en deux files pour bloquer l’autoroute, également barrée par un mur de balles de paille sur lequel a été tendue une bâche noire qui donne le ton : « Ici continue le pays de la résistance agricole », peut-on y lire.
Le terme « continuité » est certainement le plus juste pour décrire ce qui se passe à Carbonne samedi matin. Bien sûr, l’étincelle de la mobilisation a été le protocole d’abattage mis en place par l’État pour contrer le développement de la DNC dans les élevages. Ici, la stratégie adoptée en haut lieu exaspère et révolte. « Aujourd’hui, si on détecte un cas de DNC, on abat toutes les bêtes en contact au motif que c’est une maladie très contagieuse », déplore Bertrand Loup, éleveur d’une cinquantaine de vaches limousines.
Et de poursuivre : « Ça aurait pu être efficace au tout début, en juin, quand ce n’était que sur une commune, mais là, la maladie avance plus vite que le protocole. » Bertrand Loup, lui, prône une vaccination massive, « plus aucun transit de bêtes le temps que le vaccin fasse son effet » et « uniquement du cas par cas pour l’abattage ». « On abat des bêtes qui ne sont pas malades et qui sont comestibles », enrage aussi Guillaume, 47 ans, qui élève 230 brebis, une vingtaine de vaches Aubrac, une dizaine de chèvres et une trentaine de porcs.
L’éleveur estime que l’« on peut les soigner, on a les vaccins, il faut les sortir comme on l’a fait pour la maladie hémorragique épizootique [MHE touchant bovins, cervidés et ovins – ndlr] et la fièvre catarrhale ovine, c’est tout ». Théoriquement, la DNC ne touche que les bovins, mais comme nombre de ses collègues, Guillaume considère que les autorités ne maîtrisent pas le sujet. « Ils disent que c’est un moucheron qui transmet, mais qu’en sait-on ? C’est comme le covid ou la grippe pour nous… D’où ça arrive ? », questionne-t-il.
Cédric Baron, 46 ans, est céréalier et éleveur de 60 vaches limousines, « 60 mères, ça fait 120, 130 bêtes à peu près », précise-t-il. « Quand on voit un cas, il faut l’euthanasier bien sûr, mais de là à abattre tout le troupeau, souffle-t-il. Il faut mettre l’élevage en quarantaine. On va pas décimer tout le cheptel français ! L’État n’a pas été assez réactif dans ce dossier, les vaccins ont trop tardé. »
13 décembre 2025 à 10h56 Mediapart
La colère d’une partie du monde agricole s’exprime à nouveau dans la rue près de deux ans après le malaise agricole d’ampleur qu’avait exprimé la profession. Des appels « à des blocages partout en France » ont été lancés vendredi 12 décembre par la Confédération paysanne et la Coordination rurale pour protester contre l’abattage de l’intégralité des troupeaux d’une ferme en cas de découverte d’un ou plusieurs cas de dermatose nodulaire contagieuse bovine (DNCB), maladie virale fortement contagieuse, invalidante et mortelle dans 10 % des cas.
Les éleveurs et éleveuses en colère souhaitent toujours « un changement de protocole sanitaire » consistant notamment en une généralisation de la vaccination préventive en France, afin d’éviter l’euthanasie des animaux exempts de symptômes. Au 9 décembre, 108 foyers de contagion étaient détectés dans sept départements de l’est et du sud-ouest de la France.
Une option qui n’est pas retenue dans l’immédiat par la ministre de l’agriculture, Annie Genevard. Cependant, face à une convergence assez rare de l’ensemble des syndicats agricoles dans le Sud-Ouest et à la suite d’une forte montée en tension dans les fermes, la ministre a annoncé vendredi le « renforcement dans les meilleurs délais du dispositif d’indemnisation » des éleveurs et éleveuses visé·es par l’abattage de leurs troupeaux.
Annie Genevard a aussi consenti à élargir la zone de vaccination obligatoire à l’ensemble du Sud-Ouest, c’est-à-dire dans les Pyrénées-Atlantiques, les Landes, le Gers, la Haute-Garonne, l’Aude, les Hautes-Pyrénées, l’Ariège et les Pyrénées-Orientales. Ce renforcement du protocole a été couplé à une interdiction généralisée du déplacement des animaux, sauf vers un abattoir, hors des zones réglementées.
Jusqu’à présent, les déplacements d’animaux depuis des zones réglementées étaient autorisés sous conditions. Selon les données scientifiques, la vitesse de déplacement de l’infection est favorisée, et peut atteindre « quinze kilomètres par semaine », lors de mouvements de veaux, vaches ou bœufs porteurs sains et chez qui l’infection n’avait pas été détectée.
La stratégie ministérielle engagée depuis l’apparition des premiers cas en Savoie cet été, et soutenue par l’Ordre national des vétérinaires, consistait à créer un « anneau vaccinal » autour des clusters, c’est-à-dire à engager une surveillance et une vaccination d’urgence ultra-localisées des cheptels dès lors qu’un foyer de DNCB était mis en évidence. Mais désormais, l’arc pyrénéen dans son ensemble apparaît tel un rempart à une éventuelle remontée de l’épidémie vers le Centre-Ouest où la densité des élevages bovins atteint des niveaux inégalés ailleurs en France.
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« Depuis plus d’un mois, la profession demandait l’élargissement de la vaccination pour l’ensemble des départements [pyrénéens] », a tempêté par communiqué de presse, vendredi 12 décembre, la Confédération paysanne. Au-delà, la demande d’une généralisation de la vaccination préventive dans l’ensemble du cheptel français, à l’image de ce qui a déjà été engagé en Corse ces derniers mois, est devenue une nouvelle ligne de démarcation dans le monde agricole.
De son côté, le réseau composé des Jeunes Agriculteurs, de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), de la fédération nationale bovine (FNB) et de la fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) fait bloc autour de la ministre. Et assure depuis plusieurs mois avoir « pris ses responsabilités » en n’entravant pas les campagnes d’euthanasie pilotées par les autorités sanitaires, et « en écoutant et suivant les recommandations scientifiques qui guident les mesures de gestion de la maladie prises par l’État ».
Vendredi 12 décembre, en conférence de presse, le président du groupe agroalimentaire Avril et président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a enfoncé le clou : « À ce stade, l’abattage total est la meilleure solution […] c’est ce que nous disent les scientifiques dans un consensus européen. »
En réalité, la situation est complexe. Détectée en 1929 dans des troupeaux en Zambie, la dermatose nodulaire contagieuse bovine s’est propagée ces dernières décennies hors du continent africain et a fini par gagner les élevages du sud-est de l’Europe à partir de 2015. Face au rapprochement du front épidémique, la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’agriculture avait saisi l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) au printemps 2016 lui demandant d’« évaluer le risque de contamination pour la France » et d’estimer « la taille d’une banque de vaccin » qu’il serait nécessaire de constituer en cas de crise.Si la vaccination n’est pas conseillée, elle s’avère être le seul moyen de contrôle efficace de la progression de la maladie.
Rapport d’expertise collective réalisé par l’Anses en 2017
publié en 2017 commence à dater mais demeure pourtant le seul référentiel robuste et référencé sur le site de l’Anses. Avec prudence, et soulignant le peu de recul et de connaissances accumulées en Europe tant sur les vaccins disponibles que sur les modalités de contamination, un collège d’expert·es avait ainsi discuté des différents protocoles envisageables.
Le groupe avait préconisé la « vaccination » dans les zones contaminées, « seul moyen permettant de contrôler l’évolution », mais également dans les zones indemnes. « Si la vaccination n’est pas conseillée, elle s’avère être le seul moyen de contrôle efficace de la progression de la maladie en situation épizootique préconisé par l’Union européenne pour autant que le vaccin présente des garanties suffisantes d’innocuité et d’efficacité », indiquait-il. Prenant en exemple la Mayenne, qui concentre la plus forte densité de bovins en France, les expert·es avaient estimé que plus de 900 000 doses de vaccin seraient nécessaires pour atteindre en deux semaines un bon taux de couverture vaccinale.
Le 27 février 2020, le quatrième et dernier rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) consacré à cette thématique et disponible en ligne concluait à l’absence de résurgence en 2019 de clusters en Europe du sud-est, à la suite notamment d’une campagne de vaccination transnationale « de masse » (« supérieure à 70 % »), « coordonnée » et « soutenue par la Commission européenne ».
Un an plus tôt, l’Efsa estimait déjà « que le programme de vaccination et les autres mesures de contrôle mises en place [avaient] permis de stopper l’épidémie ». « La vaccination massive du bétail à l’aide de vaccins homologues vivants figure clairement comme la politique de contrôle la plus efficace, indiquait l’autorité. Néanmoins, il existe des preuves que le virus reste présent et que les bovins non immunisés restent à risque, même dans des zones à couverture vaccinale relativement élevée. »
C’est aussi ce à quoi concluait le bulletin épidémiologique santé animale et alimentation de janvier 2018 réalisé par l’Anses et la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère en charge de l’agriculture : « On peut considérer que la vaccination, dont la couverture a fini par être très large dans les pays européens touchés, a grandement contribué à la quasi-extinction de l’épizootie. »
Une maladie très contagieuse, qui circule activement dans la partie orientale du continent depuis dix ans.
Cependant une généralisation de la vaccination à l’ensemble du territoire national demande une logistique colossale. Et mettrait en péril les exportations françaises de viande et de lait ce qui induirait, comme l’a expliqué Le Monde, que « pendant quatorze mois après la vaccination », la France serait « soumise à des exigences sanitaires supplémentaires pour les échanges commerciaux, voire à un arrêt total des exportations suivant les pays destinataires ».
C’est là, l’un des forts enjeux de la crise agricole en cours. Il faut « prévenir toute perturbation inutile des échanges dans l’Union et éviter que des pays tiers n’imposent des entraves injustifiées aux échanges commerciaux », exprimait déjà au mois d’août la Commission européenne, dont on peine toutefois à cerner l’amorce d’une vraie réflexion autour de cette maladie très contagieuse, qui circule activement dans la partie orientale du continent depuis dix ans.
« Deux pays ont marqué leur accord pour recevoir, sous conditions, des bovins depuis la zone vaccinale », a d’ores et déjà annoncé vendredi le ministère de l’agriculture pour tenter d’apaiser la filière. Il s’agit de l’Italie, l’un des partenaires commerciaux privilégiés de la France, et de la Suisse. « La France poursuit ses négociations avec ses autres partenaires commerciaux, afin d’obtenir l’accord d’autres pays », a affirmé le ministère. Marion Briswalter