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EN SERBIE MALGRÉ LA RÉPRESSION LE MOUVEMENT CONTINU

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le 8 décembre 2025

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Jeudi 27 novembre 2025, Amnesty International Paris, organisait une rencontre sur les droits humains en Serbie. En novembre 2024, les étudiants serbes descendent dans la rue, contre la corruption, pour la justice, pour un changement. Depuis, la protestation s’étend et se généralise. Face à une société en mouvement les autorités répondent par la répression.

Dans l’émission de ce jour, nous vous proposons l’écoute d’une partie de cette rencontre

Étaient présents :

Teodora Cirilovic, franco-serbe, soutien du mouvement en France

Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans et

Lazar Jeremic, étudiant et manifestant venu spécialement de Serbie,

le Pr Miodrag Jovanovic, Professeur de la sociologie et de la théorie et philosophie du droit, Faculté de droit de l’Université de Belgrade, en visioconférence depuis Belgrade

Ana Otasevic, doctorante à l’EHESS, documentariste, collaboratrice du Monde diplomatique, spécialiste des Balkans

Serbie Rapport d’Amnesty

Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Serbie en 2024.

Des manifestant·e·s et des journalistes ont fait l’objet d’actes d’intimidation, de manœuvres de harcèlement et de poursuites judiciaires abusives pour s’être mobilisés sur des questions d’intérêt public. Aucune mesure crédible n’a été prise pour que les responsables de crimes de guerre aient enfin à rendre compte de leurs actes. Le gouvernement a au contraire cherché à édulcorer une résolution de l’ONU concernant le génocide de Srebrenica. La discrimination à l’égard des Roms et des personnes LGBTI, ainsi que des réfugié·e·s et des migrant·e·s, constituait toujours une préoccupation majeure. Le nombre de personnes réfugiées ou migrantes transitant par la Serbie a diminué, mais ces personnes restaient exposées à des abus et à des violences aux frontières.

CONTEXTE

La mise en œuvre de l’accord négocié sous l’égide de l’UE entre la Serbie et le Kosovo concernant la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays était au point mort. La Cour constitutionnelle a annulé en juillet un décret pris en 2022 par le gouvernement qui bloquait l’ouverture d’une mine de lithium et de bore dans la vallée de la Jadar. Cette décision a déclenché dans tout le pays une vague de manifestations de grande ampleur. Peu de temps après, le gouvernement a pris un nouveau décret approuvant le projet d’exploitation. Toujours au mois de juillet, la Serbie et l’UE ont conclu un protocole d’accord et un partenariat stratégique sur les matières premières durables. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté pendant des mois contre l’extraction du lithium, dénonçant les dommages irréversibles qu’elle risquait de causer à l’environnement.

Liberté d’expression

Des procédures-bâillons ont été ouvertes contre des journalistes d’investigation, des militant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains, qui continuaient par ailleurs de faire l’objet d’un dénigrement systématique de la part d’organes de presse favorables au pouvoir en place. En juillet, une chaîne de télévision progouvernementale très populaire a accusé une quarantaine d’organisations de la société civile de « mener une guerre spéciale contre la Serbie » pour le compte de puissances étrangères. Cette chaîne a diffusé des données détaillées sur les finances de ces organisations, y compris les noms de certains membres de leur personnel, des informations bancaires et des indications sur des transactions – autant d’éléments censés être confidentiels. Plusieurs responsables gouvernementaux ont appelé de façon répétée à l’adoption d’une « loi sur les agents de l’étranger » destinée à faire taire toute dissidence. L’Association indépendante des journalistes de Serbie (NUNS) a signalé plus de 150 cas de menaces ou d’agressions visant des journalistes cette année. À lui seul, le Réseau de reportage sur la criminalité et la corruption (KRIK) a fait l’objet de 16 procès abusifs pour ses activités de journalisme d’investigation.

En mars, le Comité des droits de l’homme [ONU] s’est inquiété de la persistance de propos discriminatoires visant des journalistes, tant en ligne que dans les médias traditionnels, y compris de la part de personnalités politiques et de hauts responsables.

Liberté de réunion pacifique

Les manifestations, en particulier celles liées à l’environnement, ont été lourdement encadrées par les forces de l’ordre, qui n’ont pas hésité à recourir à une force excessive ni à procéder à des arrestations arbitraires. À la suite des manifestations contre l’extraction de lithium qui ont eu lieu en août, 33 militant·e·s au moins ont été arrêtés dans 17 villes de Serbie. Nombre d’entre eux ont été placés en détention ou interrogés en raison de commentaires qu’ils avaient publiés sur les réseaux sociaux ou pour avoir simplement participé à des manifestations pacifiques. Plusieurs ont été inculpés d’infractions pénales disproportionnées, telles que l’« incitation au renversement violent de l’ordre constitutionnel », et ont subi des interrogatoires prolongés, des perquisitions de leur domicile et la confiscation de leurs téléphones et ordinateurs.

Amnesty International a révélé en décembre des éléments prouvant qu’un logiciel espion illégal et diverses autres techniques invasives relevant de la criminalistique numérique étaient largement utilisés par les autorités pour surveiller des militant·e·s et des journalistes indépendants. Après la publication de ces informations, plusieurs organisations locales de la société civile ont porté plainte contre la police et l’Agence d’information sur la sécurité pour avoir développé et utilisé un logiciel espion et accédé sans autorisation à des données personnelles.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

La Serbie a fait part de sa réprobation face à l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies d’une résolution faisant du 11 juillet la Journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide commis à Srebrenica en 1995.

Plus de 1 700 affaires de crimes de guerre n’avaient toujours fait l’objet d’aucune enquête en Serbie.

Le procès de sept anciens policiers serbes de Bosnie accusés d’avoir participé, en juillet 1995, au massacre de 1 313 Bosniaques de Srebrenica dans les locaux de la coopérative agricole de Kravica n’a guère avancé en raison de multiples reports d’audiences.

En Serbie, des logiciels espions utilisés par les autorités pour espionner journalistes et militants

Publié le 17.12.2024

Dans un nouveau rapport, nos équipes d’Amnesty Tech révèlent comment des journalistes d’investigation et des militants écologistes ont vu leur téléphone infecté par un logiciel espion pendant des interrogatoires, des gardes à vues ou dépôts de plaintes auprès de la police ou des services de renseignements serbes. Il s’agit là d’une campagne de surveillance illégale menée par les autorités pour faire taire la société civile.

Les autorités serbes usent de technologies de pointe pour surveiller, espionner, ses journalistes, militants et activistes. Une répression numérique pour étouffer les mouvements de contestation.

Depuis 2021, la Serbie a été le théâtre de nombreuses manifestations contre le gouvernement. Les attaques de l’État serbe contre la société civile se sont nettement intensifiées après les manifestations massives de juillet et août 2024 contre l’extraction de lithium et contre l’accord passé entre la Serbie et l’Union européenne sur l’accès aux matières premières. 

C’est dans ce contexte que nous révélons dans un rapport de plus de 80 pages intitulé « Une prison numérique. Surveillance et répression de la société civile en Serbie », comment les autorités ont infecté secrètement les téléphones de personnes considérées comme « voix dissidentes. »

Une entreprise israélienne et un logiciel espion serbe  

C’est l’entreprise israélienne Cellebrite qui est à l’origine d’un outil d’extraction des données de téléphones portables, outil utilisé par les autorités serbes. Fondée en Israël, l’entreprise Cellebrite dispose de bureaux dans le monde entier et développe une gamme de produits pour les entités gouvernementales. Les outils de Cellebrite ont permis aux autorités serbes de déverrouiller, sans accès au code, les téléphones des personnes interrogées par la police.  

Une fois les téléphones déverrouillés, les autorités pouvaient introduire leur logiciel espion, NoviSpy. Il peut récupérer les données confidentielles du téléphone ciblé et peut allumer à distance le micro et la caméra.

Journalistes ciblés 

Slaviša Milanov est un journaliste d’investigation indépendant. En février 2024, il est arrêté lors d’un contrôle routier. Placé en détention, il est interrogé sur son travail de journaliste, téléphone éteint. À sa libération, Slaviša remarque que son téléphone, qu’il avait laissé à l’accueil au poste de police pendant son interrogatoire, semble avoir été trafiqué. Il demande alors au Security Lab d’Amnesty International d’examiner son téléphone.

Résultat : nos équipes ont bien confirmé que l’outil de l’entreprise Cellebrite avait bien été utilisé pour déverrouiller son téléphone et y introduire le logiciel espion NoviSpy.  

Nos preuves démontrent que le logiciel espion NoviSpy a été installé alors que la police serbe était en possession de l’appareil de Slaviša Milanov

Donncha Ó Cearbhaill, responsable du Security Lab d’Amnesty International

Militants piratés par NoviSpy lors d’un dépôt de plainte 

La stratégie qui consiste à installer le logiciel espion secrètement sur l’appareil d’une personne pendant sa détention ou pendant son dépôt de plainte a été largement utilisée par les autorités serbes.  Un militant d’une organisation qui promeut le dialogue et la réconciliation dans les Balkans occidentaux, a vu son téléphone infecté par un logiciel espion lors d’un entretien avec des responsables des services de renseignements serbes (BIA), en octobre 2024.  Le militant a été convié dans les locaux de la BIA à Belgrade concernant une attaque menée contre les bureaux de son organisation. Après cet entretien, son téléphone avait été infecté par le logiciel espion. 

Effets dévastateurs  

Les militants serbes que nous avons interrogés ont été traumatisés par ce système de surveillance numérique mis en place par les autorités. « Tout ce que vous pourrez dire pourrait être utilisé contre vous, ce qui a un effet paralysant à un niveau personnel tout comme professionnel », déclare Branko*, un militant pris pour cible par le logiciel espion Pegasus.

Nous nous trouvons tous dans une espèce de prison numérique (…). Nous avons une illusion de liberté, mais en réalité, nous n’en avons aucune. 

Goran*, militant ciblé par le logiciel espion Pegasus

Ce ciblage entraîne également une forme d’autocensure. « Cela a deux conséquences » indique un militant. « soit vous optez pour l’autocensure, ce qui nuit considérablement à votre capacité de travailler, soit vous choisissez de parler malgré tout, auquel cas vous devez être prêt à en subir les conséquences », déclaré Goran*, un militant également ciblé par Pegasus. 

On a envahi ma vie privée et cela a complètement détruit mon sentiment de sécurité personnelle. Cela a provoqué une grande anxiété […] J’ai ressenti un sentiment de panique et je suis devenu assez isolé. 

Aleksandar*, militant, ciblé par le logiciel espion Pegasus