le 27 septembre 2023
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Le 8 décembre 2020, la DGSI arrêtait neuf personnes, désignées par le Ministère de l’Intérieur comme « membres de la mouvance ultragauche ».
Sept d’entre elles sont mises en examen, dont cinq placées en détention.
Elles sont accusées d’« association de malfaiteurs terroristes », ce qu’elles nient catégoriquement. Après l’extrême violence de leurs arrestations (interventions du RAID, fourgons banalisés, sacs sur la tête, camisoles, GAV antiterroriste, fusils d’assaut chargés, humiliations…), après la violence des incarcérations (isolement carcéral, grève de la faim, statut DPS, fouilles à nu…), c’est aujourd’hui la violence de la Justice qui attend les inculpé·es, avec un procès qui se tiendra du 3 au 27 octobre 2023.
Afin que leur parole soit entendue, parce qu’ils et elle ont besoin de soutien, mais aussi pour se mobiliser contre l’extension sans précédent de l’arsenal antiterroriste. Dans l’émission de ce jour, nous revenons sur cette affaire. Nous débuterons avec l’entretien réalisé en compagnie d’une personne proche des inculpé.es.
Et en seconde partie d’émission, nous vous diffuserons un montage dans lequel alterneront les prises de parole de libre flot (orales ou écrites) avec les prises de parole du rassemblement organisé à Ménilmontant le 29 mars 2022
Cette affaire sera jugée du 3 au 27 octobre 2023.
L’affaire du 8 décembre 2020 est une opération antiterroriste commanditée par le Ministère de l’Intérieur contre des militant·es désigné·es par ce dernier comme des « activistes d’ultragauche » et mis·es en examen pour « association de malfaiteurs terroristes ».
La DGSI, accompagnée d’unités de polices militarisées (GAO¹, RAID), a procédé à l’arrestation de neufs personnes – que nous réunissons sous la bannière « libertaires » – dont les engagements politiques étaient divers et dans des régions différentes: soutien aux familles réfugié·es, projets d’autonomie et de lieux collectifs à la campagne, soutien aux victimes de meurtres d’État, squat d’activités politiques et contre-culturelles, écologie et défense de la cause animale, implication dans des Zones A Défendre, activisme dans la scène punk, féminisme, etc.
Ces neuf personnes ne se connaissent pas toutes. Certaines ne s’étaient côtoyées qu’une fois dans leur vie (pendant le confinement). Mais toutes avaient comme point commun une personne, ciblée par la DGSI depuis son retour du Rojava en 2018 où il avait participé à la lutte contre DAECH.
A l’heure de leur arrestation chacun·e menait sa vie dans des régions différentes, bien que la DGSI affirme avoir déjoué un « vague projet de s’en prendre à des forces de l’ordre » et que la médiatisation se fit l’écho sans nuance de ces suspicions pendant quelques jours.
Pourtant, les inculpé·es, leurs proches et leurs avocat·es démentent ces accusations, qui sont fondées sur des « extrapolations délirantes ».
Il est reproché aux inculpé·es plusieurs « éléments matériels » qui s’étalent sur à peine deux mois et concernent des personnes différentes : la détention d’armes, la confection d’explosifs, la pratique de l’AirSoft et l’usage d’outils de communication sécurisés.
Ces faits sont soit parfaitement légaux, soit des délits qui relèvent du droit commun, et les inculpé·es sont prêt·es à en assumer les conséquences. Mais la DGSI et la Justice tentent par tout les moyens de faire entrer cela dans un cadre « terroriste ».
Pour ce faire, tout le reste de leurs activités (projets professionnels, militants ou familiaux) qui démentent les accusations est mis sous le tapis pour ne retenir que des éléments « à charge » que les techniques d’intrusion dans leur vie ont pu extraire. D’après le témoignage d’une mise en examen, « le dossier repose sur un ensemble d’éléments disparates qui n’ont globalement rien à voir les uns avec les autres mais qui, décontextualisés et racolés, permettent de construire un décors ».
Quelques armes ont été saisies dans cette enquête. Des armes de collection inutilisables et quelques carabines de chasse appartenant à quatre inculpé·es (ou à leur famille). Rien de comparable aux arsenaux de guerre saisis en juin 2022 en Alsace ou dans l’Eure en novembre 2021 chez des néo-nazis et militaires ; sans que le PNAT ne s’y intéresse.
Deux inculpés étaient inscrits dans un club de tir et avaient un permis de chasse dans une optique d’autosuffisance. Leur participation à ce sport n’était nullement cachée, ils en parlaient régulièrement au téléphone et le gérant du club était abasourdi quand il a appris ces arrestations. Les armes dont ils disposaient, mis à part un fusil de chasse, étaient réservées au club de tir car elle ne sont pas suffisamment létales pour la chasse. Un autre inculpé avait des carabines quasi inutilisées qui servaient de temps en temps à tourner des clips.
Quatre armes illégales étaient détenues (ce qui relève d’un délit de droit commun) : un fusil à canon scié et trois carabine. Le premier était stocké dans l’habitat de Libre Flot. Il l’avait acheté sur un vide grenier il y a des années pour s’entraîner au tir avant de partir au Rojava.
Les carabines, appartenant à un autre inculpé, avaient été récupérées il y a plusieurs années dans le but de chasser ou faire peur aux nuisibles sur un terrain. Et pour l’une d’entre elle, pour son esthétique « années 30 » pour le tournage d’un clip. Dans les deux cas, ils ne possédaient pas ou peu de munitions.
Au cours de l’enquête, il y a eu deux moments de confection d’explosif. L’un s’est déroulé entre deux inculpés lors d’un week-end de retrouvailles après de nombreuses années. L’un d’eux étant artificier spécialisé dans les effets spéciaux. Une quantité infime a été réalisée et aucun stock n’a été gardé.
Le second moment est arrivé quelques semaines plus tard lorsqu’au hasard du confinement, plusieurs inculpé·es se sont retrouvé·es à cohabiter dans un grand lieu collectif à la campagne pendant trois semaines. Pour tuer le temps (et pas des gens!), un après-midi a été consacrée à tenter de fabriquer du TATP² avec une recette trouvée sur internet. Une quantité infime est finalement réalisée (c’était pas gagné!) et le pétard est allumé dans les bois. Pour la plupart des inculpé·es, c’était la première expérience avec une explosion et ça ne leur a pas spécialement plu. La curiosité passée, aucun autre essai du genre n’aura lieu jusqu’aux arrestations (8 mois plus tard!).
La détention, confection et transport de matières dangereuses est un délit condamnable dans le droit commun. Encore une fois, c’est le procès d’intention et d’opinion qui permet à la Justice de transformer cela en « terrorisme ».
Trois inculpé·es sur les sept pratiquaient occasionnellement de l’AirSoft, une pratique sportive de simulation de tir avec des « répliques », c’est à dire des pistolets à billes. C’est une pratique parfaitement légale, pourtant deux parties d’AirSoft sont reprochées aux inculpé·es et la DGSI les considère comme des entraînements paramilitaires. Là encore, la DGSI affirme que Libre Flot se servirait de ce jeu pour former à la guérilla ses ami·es. Cela pose la question : quelles pratiques légales deviennent illégales si vous avez une expérience de guerre ?
La Quadrature du Net a récemment démontré – provoquant un tollé international dans le monde de l’informatique libre – comment la DGSI transformait des pratiques banales d’autodéfense numérique en un « comportement clandestin » et une « culture du secret » qui démontreraient les intentions terroristes supposées des inculpé·es. C’est le même type d’extrapolations paranoïaques que l’on retrouve à tous les niveaux du dossier, atteignant des niveaux vertigineux dans la présomption de culpabilité.
L’usage de WhatsApp, Signal, Tails, Tor, eOS, Jitsi, Telegram, (etc.) sont assimilés à des comportements pré-terroristes. Trois inculpé·es sont également poursuivi·es pour « refus de communiquer ses conventions de déchiffrement », un nouveau délit instauré par la loi du 3 juin 2016 « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ». Ce délit vient fragiliser le droit fondamental de ne pas s’auto-incriminer (le droit au silence).
Ces arrestations préventives on conduit à cinq incarcérations préventives dans des conditions extrêmes. Les détentions sont allées de 4 mois et demi de détention sous régime DPS (détenu particulièrement signalé) à 16 mois d’isolement carcéral (se terminant grâce à une grève de la faim éprouvante).
Plusieurs mesures « antiterroristes » ont été illégalement administrées contre les inculpé·es, notamment un placement à l’isolement pendant 15 mois pour Libre Flot, et d’incessantes fouilles à nu pour Camille. L’État a récemment été condamné (timidement) pour une partie de ces violences aux effets dévastateurs.
Les comités de soutien, les proches et les avocat·es n’ont cessé de dénoncer l’usage de l’isolement carcéral à des fins de « torture blanche ». Pendant tout le temps de son incarcération, Libre Flot a pris soin d’alerter sur les effets de l’isolement sur sa santé. Alors qu’il témoignait de pertes graves de mémoire, d’incapacités à se concentrer, de migraines chroniques (etc.), le Juge d’Instruction continuait (en toute connaissance de cause) à mener des interrogatoires, exploitant sadiquement la situation. En avril 2022, il daignera le libérer (sous bracelet électronique) « pour raisons médicales », après 36 jours de grève de la faim, une journée internationale de mobilisation et une Tribune réclamant sa libération. Un an après l’isolement, le préjudice reste bien présent.
Les juges d’instruction désignés ont fait de cette affaire une affaire personnelle dès le début. Dès leur première interaction avec les inculpé.es, leur haine est palpable. Elle s’illustre dans leur ton excédé, leurs commentaires méprisants, leur mépris de classe, témoignant d’autant de bas instincts et de leur subjectivité.
De la même façon que la DGSI lors des auditions de témoins, de nombreux propos abjects tenus par Jean-Marc Herbaut sont complètement passés sous silence et protégés par le sacro-saint Secret du Palais. Cette vieille loi du Secret est une pratique d’omerta qui est exercée au sein de l’appareil judiciaire: « ce qui se dit en off reste en off ». Les avocat·es se risquant à ne pas le respecter perdraient un certain nombre d’avantages au sein du Palais (perte de confiance des magistrats, rétention d’information, etc.). Les témoignages de Libre Flot sont importants en ce sens, lorsqu’il s’indigne que le juge l’assimile aux combattants de DAECH (« tes petits amis de daech ») alors qu’il a lui même combattu le djihadisme au Rojava.
La première obstruction à la Défense des inculpé·es a été (outre les placements en détention) le refus de leur donner accès à leur propre dossier. La première inculpé·e libérée a dû aller en Cour d’Appel pour enfin avoir le droit d’y accéder.
Cette première obstruction avait pour but d’empêcher que la Défense (qui a besoin du regard éclairé des inculpé·es) puisse poser des requêtes en nullités (c’est à dire, faire annuler des éléments si des irrégularités sont constatées). Les délais légaux pour poser ce type de requêtes sont : six mois après les arrestations. La première inculpée n’a eu que trois semaines avant la fin de ce délai pour aider les avocat·es à éplucher le dossier et contester la légalité de plusieurs éléments. Les requêtes seront finalement toutes rejetées en bloc par la Chambre d’Instruction.
Début septembre 2021, les juges d’instruction ont été interpellé·es par des « familles et ami·es et des inculpé·es » au travers d’une Lettre Ouverte dénonçant les pratiques de la DGSI et demandant la libération des derniers inculpés, en vain.
Libre Flot a également témoigné plusieurs fois du comportement outrancier de Jean-Marc Herbaut dans son bureau : accès de colère, insultes, etc. Il dénonce dans son communiqué de grève de la faim : « les mêmes techniques tortueuses que la DGSI : la manipulation, la décontextualisation, l’omission et l’invention de propos et de faits afin de tenter d’influencer les réponses. »
Malgré cet effort pour démontrer l’indémontrable, l’instruction a été forcée d’admettre à minima que « aucun passage à l’acte imminent ne semble avoir été envisagé ». Le soit disant projet de s’en prendre aux forces de l’ordre ou à des militaires initialement « vague », s’est finalement échoué sur des sables mouvants de l’accusation politique. L’affaire ouverte en « criminel » se dégonfle donc en « correctionnelle ». Il n’y a pas de projet ! Mais se refusant à couler définitivement, l’accusation s’accroche à la bouée des jurisprudences islamophobes de ces dernières années.
Sans une once de honte, Jean-Marc Herbaut écrit dans son ordonnance de renvoi :
« Est punissable la seule participation au groupement ou à l’entente, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une participation aux crimes ou à leur préparation. De même, il est inutile de démontrer la connaissance précise et concrète du projet fomenté par le groupe. »
Pour résumer : pas de groupe constitué, pas de préparation à des actions (ni crime, ni sabotage), pas d’entente politique, pas de préparation à la clandestinité, mais quand même coupables ?! L’idéologie de certain·es magistrat·es a définitivement fait chavirer le Droit dans des eaux bien troubles…
Au même titre que la DGSI et le PNAT, qui n’hésitent pas à verser dans le conspirationnisme le plus malhonnête pour combler la vacuité de leur dossier (on vous garde les pépites pour plus tard!). Il faut dire que le tout jeune Parquet National Anti-Terroriste tient sa première affaire d’ultragauche et il n’entend pas en démordre. Il a d’ailleurs régulièrement fait fuiter des éléments totalement faux dans la presse de droite radicale et d’extrême-droite.
Un article dans le Figaro mélangeait Libre Flot avec autre militant internationaliste, il a été modifié sous peine de plainte. Puis, suite à la publication d’un dossier d’enquête par la Quadrature du Net sur l’assimilation du chiffrement à un comportement terroriste, des représentants du PNAT affirmaient dans un colloque sur le numérique : « il y aura une riposte médiatique ». La réponse est venues quelques semaines plus tard, avec un article sur France Info qui s’acharnait encore une fois sur Libre Flot, en lui ajoutant des armes et explosifs dans son camion qui n’ont jamais existé.
Encore aujourd’hui, les inculpé·es, leurs avocat.es et leurs soutiens se questionnent sur les raisons pour lesquelles les arrestations ont été déclenchées ce fameux 8 décembre. Les inculpé·es vivaient dans des régions différentes et menaient leurs projets de vie et engagements militants distincts. Huit mois après les gestes qu’on leur reproche, l’évidence était qu’il n’y avait aucun groupe et aucune organisation en vue de réaliser un quelconque projet d’action violente.
Alors pourquoi le déclenchement de cette affaire ?
Au travers de la communication politique et médiatique qui eût lieu après leurs arrestations, on peut comprendre l’opportunité qu’à saisie Darmanin (car la DGSI est sous les ordres du Ministère de l’Intérieur, il était donc au courant depuis de longs mois de cette affaire qui se montait). Nos camarades on servi d’avatars médiatiques au service d’un projet idéologique, nommons-le : la progression du fascisme.
En Juin 2020, à la sortie du confinement, le mouvement BlackLivesMatter était à son apogée en France, avec une mobilisation historique devant le Tribunal de Paris. La question des meurtres policiers et du racisme d’État était dans toutes les bouches. La Justice condamnait l’État pour « fautes lourdes » pour des affaires de violences policières, le Conseil de l’Europe épinglait la France suite aux violences policières envers les journalistes. La vidéo du lynchage raciste de Michel Zecler passait sur tous les écrans, deux semaines avant les arrestations du 8 décembre. Les Teknivals se faisaient violemment écraser par des interventions policières et la gestion sécuritaire de la crise sanitaire faisait sérieusement grincer des dents.
Le gouvernement répondait dans l’empressement par une surenchère sécuritaire en faisant passer deux lois particulièrement graves: la loi séparatisme et la loi sécurité globale. Et en réponse à la grogne qui montait à mesure que le gouvernement répétait « il n’y a pas de violences policières », « nous allons casser du casseur » ; il fallait trouver une sortie médiatique.
Quoi de mieux pour détourner l’attention que cette vieille fable, étayée par aucun fait, des manifestant·es qui pourraient tuer du flic et plus généralement de la police en danger de mort constant ? Quoi de mieux pour étouffer les critiques ?
Le pouvoir lançait donc cette arrestation que personne n’attendait. « Vague projet d’action violente » qui viserait des « policiers ou des militaires », des « activistes violents d’ultragauche préparaient un attentat », etc. De Darmanin, à Laurent Nunez, en passant par Eric Ciotti, la droite radicalisée applaudissait les arrestations du 8/12 en promouvant les équipes de police militarisées y ayant participé.
En illustration à ces fables anxiogènes, les médias mainstream diffusaient des images de « casseurs », alors même qu’aucun fait de manifestation n’était reproché aux inculpé·es. Et le PNAT (ou la DGSI) s’empressait de faire fuiter des éléments du dossier dans Le Point, avec les photos de trois des inculpé·es.
L’affaire du 8 décembre 2020 prend place dans un contexte de criminalisation des luttes, d’usage de l’association de malfaiteurs comme outil de répression politique et de montée de l’extrême droite dans une ambiance préfasciste. Depuis 2015, et plus encore ces deux dernières années, les virages sécuritaires des gouvernements successifs ont été particulièrement inquiétants.
Plus la répression devient violente, plus la « violence » des opposant·es politiques est amplifiée et diabolisée, permettant de justifier les vagues répressives et lois sécuritaires suivantes. C’est un processus parfaitement observable qui, in fine, permet de justifier les futurs meurtres policiers. Les même mécanismes s’observent pour toutes les violences d’État (pénitentiaires, judiciaires, policières), dans ce que le théoricien du post-colonialisme Achille Mbembe appelle la nécropolitique.
Cela a commencé par la criminalisation des musulman·es et des étranger·ères, qui a conduit à la mise sous tutelle et à la répression tous azimuts de toute une communauté (avec des fermetures de mosquées et d’écoles, la dissolution du CCIF et de Baraka City, des milliers de perquisitions antiterroristes dans le vide, etc.), avant de s’étendre aujourd’hui à l’ensemble des mouvements de contestation sociale, organisations militantes et antifascistes.
On assiste en quelques mois à la dissolution de la GALE, du Bloc Lorrain, du Collectif Palestine Vaincra, Comité Action Palestine, les Soulèvements de la Terre ; et la tentative de dissolution de Nantes Révoltée et de la Defcol.
Les outils de répression administratifs (relevant de la sécurité intérieure, et donc directement du ministère) se déploient également sur des activistes. Des ITF et des placements en CRA, de la surveillance poussée, des assignations.
On observe aujourd’hui comment l’institution judiciaire (même dite « de droit commun ») s’est militarisée, fonctionnant aujourd’hui main dans la main avec l’intervention d’unité de polices antiterroristes pour écraser aveuglément des supposés émeutiers.
Retour sur les derniers outils législatifs mis en œuvre pour réprimer toute contestation de l’ordre établi.
La loi renforçant la Sécurité Intérieure et la Lutte contre le Terrorisme (SILT) est votée dans le prolongement de l’État d’urgence décrété par Hollande au lendemain des attentats du Bataclan. Entrée en vigueur le 1er novembre 2017, elle a pour objet de faire entrer dans le droit commun un ensemble de mesures de police administrative, au nom de la « lutte contre le terrorisme ».
Les pouvoirs de l’État d’urgence deviennent permanents :
Cette loi fait sauter un grand nombre de freins au pouvoir gouvernemental qui existaient pour justement protéger la population. Elle confère de façon durable au pouvoir administratif des prérogatives étendues et particulièrement liberticides, sans contrôle de l’autorité judiciaire. Un État policier.
Elle légalise la mise en œuvre de mesures de contrainte sans fondement autres que des présomptions policières, et permet le retour massif de l’usage des « notes blanches ». Une répression qui n’a plus besoin d’élément prouvant la participation effective à la commission d’une infraction pénale, ni de détailler les motifs invoqués.
La loi renforce également les pouvoirs des services de renseignement : banalisation de la surveillance de masse et nouveaux pouvoirs de contrôle aux frontières.
La loi « relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » présentée par le gouvernement Castex pendant que les Français·es sont à la plage, prolonge à nouveau un ensemble de mesures sécuritaires temporaires prévues par la loi SILT.
Ni leur nécessité, ni leur efficacité et ni leur proportionnalité n’ont été démontrées. Mais l’entretien permanent de la « menace terroriste » dans les médias et les discours politiques fonctionne toujours.
Ces trois décrets du ministère de l’Intérieur visent à élargir les possibilités de fichage dans le cadre d’enquêtes menées par la police, la gendarmerie ou encore l’administration.
Initialement, les fichiers Prévention des Atteintes à la Sécurité Publique (PASP) et GIPASP visaient « les personnes susceptibles de prendre part à des activités terroristes ou d’être impliquées dans des actions de violences collectives ».
Cette définition déjà large permettait d’y intégrer, outre des individus présentant une « radicalisation du comportement », des personnes ayant pris part à « des manifestations illégales » ou à des « actes de violence ou de vandalisme lors de manifestations sportives ».
Suite à la parution de ces décrets, les catégories de données et les catégories de destinataires de ces fichiers sont considérablement élargies, puisqu’ils permettent désormais d’enregistrer des informations concernant des personnes morales ou des groupements, comme des associations, des collectifs militants ou des syndicats.
Ces décrets permettent également aux services de police et de renseignement de pouvoir recueillir « les opinions politiques, les convictions philosophiques, religieuses, l’appartenance syndicale, ainsi que des données de santé révélant une dangerosité particulière », ouvrant encore plus la voie à la purge politique en cours.
Ces décrets élargissent la surveillance aux atteintes « à la sûreté de l’État » et « à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République ». Outre l’usage d’un terme totalement flou : « atteintes », ce n’est plus uniquement la prévention de crimes qui peut être la cible d’intrusions des services secrets, mais ce qui irait à l’encontre du respect des institutions.
On voit donc à l’œuvre un glissement sémantique qui permet au pouvoir administratif, donc à l’exécutif, d’élargir considérablement le champ d’application de ses mesures de fichage et de surveillance, dans le but de criminaliser et de neutraliser, toute opposition politique. En plus d’être une dérive autoritaire dangereuse, ces décrets permettent ainsi un redéploiement des services de renseignement sur des pans émergents de la contestation sociale.
L’Assemblée Nationale examine précipitamment la proposition de la loi « Sécurité Globale » (LSG) dès novembre 2020. Déposée le 20 octobre 2020, elle passe de la Commission des Lois à un vote en première lecture en à peine un mois, alors que l’agenda parlementaire était déjà surchargé. Cette loi étend les possibilités d’une surveillance généralisée et indiscriminée de l’ensemble des personnes vivant en France.
Elle redéfinit aussi le maintien de l’ordre selon la conception militariste du « continuum de sécurité » : une manière d’englober tous les acteurs répressifs ou réactionnaires (de l’armée au voisins vigilants) dans une dynamique commune.
Ses principales dispositions prévoient :
De nombreuses manifestations ont eu lieu lors de l’examen de la loi, et de nombreuses condamnations de ce texte ont été émises, notamment par la CNCDH, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme, du Conseil de l’Europe, de la Défenseure des Droits, de la Commission Européenne, du Conseil des Barreaux, etc.
Seul l’article 24 sera supprimé. Il a d’ailleurs été réintroduit sous une forme légèrement modifiée par l’article 18 dans la loi Séparatisme quelques semaines plus tard.
Les grandes lignes de la loi Séparatisme confortant le respect des principes de la République ont commencé à être dévoilées début octobre 2020, à la même période que la LSG. Elle est présentée en Conseil des Ministres le 09 décembre 2020. Le gouvernement a engagé une procédure accélérée pour l’examen du texte à l’assemblée nationale.
C’est une loi raciste et islamophobe qui prévoit :
Depuis sa promulgation, ce texte à été utilisé d’abord pour dissoudre des organisations musulmanes, puis pour réprimer des organisations militant·es antifascistes, antiracistes et écologistes.
C’est notamment cette loi qui a justifié les dissolutions de la GALE, du Bloc Lorrain, du Collectif Palestine Vaincra, Comité Action Palestine, ainsi que la tentative de dissolution du media Nantes Révoltée.
Pour comprendre l’opération antiterroriste du 8 décembre 2020, il faut remonter en janvier 2014 lorsque l’autonomie du Rojava est proclamée. Partie syrienne du kurdistan, le Rojava est un territoire revendiqué par le peuple apatride le plus grand du monde: les kurdes.
Le PYD (Parti de l’Union Démocratique) proche du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) prend le contrôle de la zone et annonce le 9 janvier 2014 l’instauration d’une administration autonome s’inspirant du socialisme libertaire et du confédéralisme démocratique. La constitution du Rojava est adoptée le 29 janvier 2014.
En 2015, la révolution du Rojava bénéficie d’une médiatisation sans pareille dans les pays occidentaux. De nombreuses tribunes internationales (signées par les personnalités de gauche les plus reconnues) appelaient à soutenir de tous leurs vœux cette utopie naissante. Une trentaine de français·es répondront à l’appel du Rojava pour « protéger la paix en participant à la guerre de légitime défense contre DAESH et l’armée turque », ce qui n’est pas du goût de l’État français qui entretient des liens étroits avec le dictateur turc Erdogan, notamment via l’OTAN.
L’importance du Rojava s’est très vite démontrée en France lorsque les attentats sont venus frapper Charlie en 2015. Les kurdes ont été en première ligne de la lutte contre DAESH, puisqu’ils étaient sur le terrain. La Coalition Internationale (et les médias occidentaux) les ont encensés pour leurs exploits.
Leur modèle démocratique rend caducs les tentatives autoritaires de DAESH. Leur modèle pluri-ethnique (kurdes, arabes, assyriens, etc.) déjoue les divisions et tentations identitaires violentes. Leur modèle écologiste basé sur la reforestation et l’autonomie alimentaire tend à réduire la précarité alimentaire et la dépendance au climat et aux marchés mondiaux. Leur héritage féministe et paritaire contrecarre les effets nauséabonds du patriarcat. En bref, étant aux premières loges du développement de DAESH, mais aussi d’autres régimes autoritaires et militaristes surfant sur l’islam (Iran, Turquie) leur modèle s’est construit en opposition radicale et ils se sont montrés d’une efficacité inégalée dans la lutte contre le terrorisme.
Malgré un contexte très très hostile (désertification planifiée par la Turquie, pauvreté, tremblements de terre, séquelles de la guerre, agressions armées constantes, terrorisme, etc.), ce modèle a représenté une source d’espoir et d’inspiration à des millions de communistes, socialistes, anarchistes, féministes et écologistes dans le monde entier.
C’est dans ce contexte que des centaines de personnes ont rejoint le Rojava, dont une trentaine de français·es. Certain·es, clairement d’extrême-droite, y sont allé·es pour « buter du musulman ». D’autres, anciens militaires notamment, se disaient apolitiques et uniquement intéressés par la lutte armée contre le terrorisme. Et enfin, des camarades de gauche y allaient également avec la fierté de participer une telle révolution sociale. Libre Flot fait partie d’elleux. Il a passé quelques mois là bas, et a eu une petite expérience sur le front : la libération de Raqqa.
Le Collectif des Combattant·es Francophones du Rojava (CCFR) explique:
« Notre camarade était en Syrie pour combattre Daech. Il a pris part en 2017 à la libération de Raqqa, la capitale du groupe jihadiste. Raqqa est aussi la ville où les attentats de Paris ont été planifiés et où la plupart de ses auteurs ont été entraînés. Si la France n’a pas connu d’attentats de grande ampleur depuis des années, c’est grâce à la libération de Raqqa à laquelle notre camarade a participé au péril de sa vie. En combattant en Syrie ce dernier a donc directement contribué à la sécurité des Français, ce que le tribunal médiatique s’est bien gardé de mentionner. Comment en effet faire rentrer dans leur narration à charge que l’accusé ait donné bien plus à la lutte contre le terrorisme que les policiers, procureurs et journalistes qui l’accusent aujourd’hui d’être un « terroriste d’ultragauche » ? »
Libre Flot n’est pas le seul volontaire internationaliste a avoir été ciblé à son retour en Europe. Malgré leur apport à la lutte antiterroriste, la DGSI a immédiatement considéré comme des menaces les volontaires de gauche, là où elle en a ignoré d’autres. Là encore le CCFR explique que :
« La DGSI a immédiatement établi un tri entre les « mauvais » volontaires, se réclamant d’une idéologie révolutionnaire, et les « bons » volontaires, anciens militaires ou apolitiques, qui pour certains ne furent même pas auditionnés à leur retour en France. Ceux qui étaient identifiés comme de potentiels membres de « l’ultragauche » se retrouvèrent systématiquement « fichés S » et firent l’objet d’une surveillance active, tout en étant coupables de rien d’autre que d’un délit d’opinion. Arrestations à l’aéroport, menaces sous forme de conseils paternalistes, pressions sur nos familles, nous sommes nombreux à avoir fait l’objet de tentatives d’intimidation plus ou moins voilées de la part des services de sécurité. »
On observe partout en Europe une politique répressive envers l’internationalisme pro-kurde. En décembre 2021, Maria, militante espagnole, a été expulsée d’Allemagne et interdite de séjour pendant 20 ans au motif qu’elle utiliserait « sa présence en Allemagne pour la seule raison de pouvoir participer à des activités politiques liées au mouvement internationale de libération kurde » ; et que ses compétences (en technologies de la communication et en langue kurde) lui permettrait de « construire un réseau et donc à servir de lien entre la gauche radicale en Allemagne et le mouvement de libération kurde » d’après un communiqué du collectif Solidarité avec Maria !
Le 14 avril 2023 à Sion (Suisse) s’est tenu le procès d’un militant internationaliste accusé « d’atteinte à la puissance défensive du pays » et de « service militaire à l’étranger » pour avoir rejoint le Rojava. Le réseau Secours Rouge témoignait :
« À plusieurs reprises dans son dossier, les services de renseignement de la confédération mentionnent son appartenance à l’extrême gauche ainsi que son engagement politique. La bourgeoisie souhaite ainsi intimider et contraindre au silence les militant·es révolutionnaires. »
En Angleterre, des camarades se sont vu retirer leur passeport et ont reçu des interdictions d’entrer dans l’espace Schengen. En Italie, plusieurs militant·es sont passé·es par de longues procédures judiciaires à cause de leur voyage dans la région.
En 2016, alors qu’André Hébert se préparait à retourner au Rojava, il s’est vu retirer arbitrairement son passeport et sa carte d’identité par la DGSI, au motif qu’il pourrait être à l’origine « de graves troubles à l’ordre public » et était susceptible d’utiliser son expérience militaire « dans des attaques contre les intérêts français, en lien avec l’ultragauche révolutionnaire ». Cette diffamation et ce harcèlement est soutenu par certains médias de gauche, comme Médiapart.
Encore une fois le CCFR témoigne :
« Ces accusations complètement fantaisistes furent balayées par le tribunal administratif de Paris quelques mois plus tard. Le ministère de l’Intérieur fut ensuite contraint de lui rendre ses documents d’identité et de lui verser des dommages et intérêts. En dépit de cette victoire judiciaire, nous savions que la DGSI nous garderait dans son collimateur et était prête à tout, y compris à des accusations sans preuves, pour nous faire rentrer dans le moule qu’elle avait créée : celui de dangereux vétérans d’ultragauche cherchant à importer la violence du conflit syrien de retour chez eux. »
La France a une très longue histoire de répression envers ce peuple. La diaspora kurde a été la cible incessante des lois antiterroristes depuis, notamment la fondation du PKK en 1978. Dissolutions d’associations culturelles kurdes, coups de filets de 200 personnes finissant en relaxe générale, complicité avec les services secrets turcs dans l’assassinat de kurdes à Paris (2013 et 2022), etc.
En 2013, deux officiers du renseignement turc ont assassiné à Paris trois militantes kurdes : Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez. En mars 2020 en Grèce, sous couvert de « lutte antiterroriste », le Comité de solidarité pour les prisonniers politiques en Turquie et au Kurdistan et le Front anti-impérialiste avaient été la cible d’un raid policier: entre 26 et 35 personnes furent arrêtées.
Le 23 mars 2021 en France, il y a eu le plus grand coup de filet dans les réseaux militants kurdes de ces 10 dernières années : 13 personnes ont été interpellées par la DGSI, leurs domiciles ont été violemment perquisitionnés, ainsi que le siège de l’association kurde à Marseille. Au final, c’est plus de 800 membres de la communauté kurde qui seront interrogées par la DGSI, du jamais vu. Ce sont au final 11 membres présumés du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) qui seront lourdement condamnés, vendredi 14 avril 2023.
D’après le communiqué de camarades internationalistes de Marseille, Macron et Erdogan s’étaient entretenus quelques jours auparavant, et une rencontre avait eu lieu entre les deux ministres des affaires étrangères à l’occasion du Conseil Européen sur la géopolitique internationale.
Cette répression est permise par un rapport de force géopolitique entre la Turquie et l’Union Européenne qui considère la principale organisation d’autodéfense du peuple kurde (le PKK) comme une organisation terroriste. Malgré une campagne internationale « Justice For Kurds », qui demandait que le PKK soit supprimé de la liste des organisations terroristes, la Cour de Justice de l’Union Européenne a déclaré que le peuple kurde ne pouvait pas se défendre à l’aide d’armes, une décision on ne peut plus insupportable pour un peuple qui est encore aujourd’hui en première ligne contre les islamistes et qui n’a d’autre choix que les armes pour survivre à la colonisation perpétuelle de son territoire ancestral.
Cette décision converge dans le sens également de l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, qui ont accepté la déportation de réfugié·s politiques kurdes comme condition imposée par Erdogan.
La Turquie fait partie de l’OTAN. Elle en est un partenaire puissant, privilégié et indispensable. La Turquie est un État animé par une idéologie génocidaire en lien avec l’islam. La Turquie apporte un soutien avéré aux islamistes, en organisant leur évasion des prisons kurdes par exemple, qui se font ensuite le relai de la répression contre les kurdes.
Son projet politique est de purifier son territoire sur des critères religieux et ethniques. Elle a procédé au génocide des arméniens et à de nombreux massacres de masses contre les kurdes et les yézidis. Le peuple kurde a été forcé de prendre les armes pour survivre.
Depuis, la législation antiterroriste turque a minutieusement étendu ses pouvoirs : d’abord contre les guérillas kurdes, puis contre le peuples kurde en général, et enfin contre tout parti d’opposition de gauche. Elle a effectué des purges politiques massives et arbitraires, jusqu’à interdire le principal parti de gauche du pays et d’emprisonner des milliers de ses membres (le HDP). La réponse de la gauche européenne a été très en deçà de ce qu’on aurait pu attendre.
C’est également un pays qui considère officiellement les personnes LGBTQI+ comme des « dégénérés », qui reçoit des milliards d’euros de l’Union Européenne pour « lutter contre l’immigration » (investissements qui se traduisent en achats de matériel militaire et non humanitaire).
Les exemples de terreur d’État en Turquie sont abondamment documentés mais trop nombreux pour être relatés ici. L’Occident est parfaitement complice dans le génocide kurde, principalement permis par l’instauration du Traité de Lausanne il y a 100 ans et la collaboration militaire au travers de l’OTAN.
« Plus les gouvernements seront discrédités, plus l’adhésion à la politique menée s’effondrera – et elle ne cesse de s’effriter d’année en année -, plus les gouvernements auront recours à l’état d’urgence et à la soi-disant « lutte contre le terrorisme » pour maintenir l’ordre et étouffer dans l’œuf des révoltes toujours plus logiques. »
Ce que tout révolutionnaire devrait savoir sur l’antiterrorisme
– Les inculpé·es de Tarnac –
Aujourd’hui, en brandissant la menace de complots imaginaires, procédé tristement connu, la France s’enfonce davantage dans le camp des régimes illibéraux.
Plus que jamais nous devons faire front, pour lutter contre la judiciarisation des idées politiques d’émancipation et la criminalisation de l’action politique.
Ils veulent nous terroriser, on se laissera pas antiterroriser !
Solidarité avec toutes les cibles de la répression !
CHRONOLOGIE DE L’AFFAIRE
Une surveillance a été mise en place contre notre ami Libre Flot dès son retour du Rojava, comme pour beaucoup de volontaires internationalistes. « Un camarade parti en vacances en Amérique du Sud se retrouvait accusé d’avoir essayé de nouer des contacts avec une guérilla colombienne, un autre fréquentant la ZAD aurait prétendument tiré une fusée éclairante sur un hélicoptère de la gendarmerie, des dégradations d’antennes téléphoniques, de bornes Vélib ou de fourgons de police nous étaient également associées. Ces fables anxiogènes, parfaitement déconnectées de toute réalité, venaient confirmer ce que nous savions déjà : jusqu’à ce qu’il ait trouvé le coupable idéal, le ministère de l’Intérieur ne renoncerait pas à l’entreprise de diabolisation dont nous faisions l’objet. »
Il y a de fortes raisons de penser que Libre Flot était déjà sous le coup de plusieurs techniques de renseignement : à minima la géolocalisation et sonorisation de son véhicule d’habitation.
Le 7 février 2020, la DGSI déballe sa mélasse d’accusations « secret défense » dans un « rapport de judiciarisation » qu’elle transmet au PNAT. Ce dernier, qui adore les notes blanches, saute à pied-joint dedans. Le jour même, Benjamin CHAMBRE (1er vice procureur) se saisit de l’affaire et requière auprès d’un JLD l’usage des moyens de surveillance les plus intrusifs. Ils seront accordés immédiatement par la JLD Anne-Clémence COSTA.
Des micros dans un camion habité, des interceptions téléphoniques, géolocalisations en temps réel, IMSI catching, filatures, etc.
Ces deux mois permettent à la DGSI d’obtenir suffisamment d’éléments pour qu’une information judiciaire soit ouverte.
Il se passe pas grand-chose, des techniques sont mises en œuvre mais les inculpé·es font leur vie chacun·e de leur côté.
À 6h du matin, différentes unités d’élite sous la houlette de la DGSI (GAO, RAID) interpellent simultanément neuf personnes aux quatre coins de la France : Toulouse, Rennes, Vitry-sur-Seine, Cubjac (Dordogne), Plestin-les-grèves (Finistère). Les portes sont enfoncées, des dizaines de robocops sur-armés et cagoulés s’engouffrent dans chaque domicile. Les démineurs et la brigade canine sont aussi présents.
Des perquisitions ont lieu toute la journée, jusqu’à 12 heures d’affilée pour certaine.s inculpé.es. Humiliations, violences, les perquisitions s’étendent aux familles des personnes arrêtées.
Les neuf personnes interpellées sont emmenées dans les cellules de la DGSI à Levallois-Perret de différentes manières : entravé·es dans une camisole et cagoule sur la tête, embarqué.es en voiture pour certain.es ; menottée et masque de ski opaque sur les yeux, transportée en train pour l’une ; menottés avec trajet en avion pour d’autres. Tous les moyens sont déployés dans cette opération d’envergure.
S’en suivent alors 4 jours de garde à vue avec de nombreuses auditions. Menaces, insinuations, manipulations, privation de sommeil, de nourriture, transformation et omission dans les procès-verbaux des déclarations des auditionné·es de tout ce qui décrédibilisait le scénario de la DGSI. Des mensonges sont proférés en « off » pour certain·es, afin d’influencer leurs réponses et donner matière à l’accusation.
Deux personnes sont libéré·es sans charge à l’issue de la garde à vue, les sept autres sont inculpé·es et déferré·es devant un juge d’instruction antiterroriste, Jean-Marc Herbaut.
Le contrôle judiciaire est prononcé pour deux d’entre elleux et les cinq autres sont incarcéré·es le 11 décembre 2020 dans cinq prisons différentes d’Île-de-France, sous le statut DPS (détenu·e particulièrement signalé). L’un d’entre-elleux est placé en isolement total.
Nouvelles interpellations à 6h du matin chez deux personnes à Ustaritz (Euskal Herri) et Festalemps (Dordogne) par le RAID, sur ordre de la DGSI. Pour l’une d’entre-elles, la porte de son studio est pulvérisée. Elle est braquée par des flingues, menottée dans son lit puis emmenée pour 3 jours de GAV. A l’issue de leur garde à vue, elles seront toutes deux libérées sans charges retenues contre elles.
Le placement à l’isolement de Libre Flot est reconduit pour 3 mois.
Le juge d’instruction, Jean-Marc Herbaut, ordonne une dérogation qui donne à la DGSI carte blanche pour auditionner tout l’entourage des inculpé.es (famille, amie.s, collègues…). Cette dérogation ne prendra fin qu’en novembre 2022, au moment de la clôture de l’instruction.
Après un nouveau passage devant le juge d’instruction, la demande de mise en liberté (DML) est acceptée pour deux inculpé·es, alors emprisonné.es à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis et à la maison d’arrêt d’Osny.
Iels sont libéré.es sous contrôle judiciaire strict. Iels auront passés plus de 4 mois derrière les barreaux, sous le statut DPS, avec une période d’isolement total (pas de contact avec d’autres détenues) pendant plusieurs semaines pour l’une d’entre elleux.
Les demandes de liberté des autres inculpés toujours incarcérés sont refusées. L’appel auprès de la cour d’appel de Paris est refusé éga lement. Ils sont encore trois en prison.
Le placement à l’isolement de Libre Flot est reconduit pour 3 mois, malgré les séquelles psychiques et physiques qui ne font que s’accentuer.
Le placement à l’isolement de Libre Flot est de nouveau reconduit pour 3 mois.
Une nouvelle arrestation a lieu, une personne est interpellée à son arrivée sur le territoire français après plusieurs mois passés à l’étranger. Bien qu’elle ai attesté plusieurs fois sa volonté d’être auditionnée auprès de la DGSI et du juge d’instruction, elle sera arrêtée à l’aéroport dès son arrivée et passera 2 jours en garde à vue à la DGSI, puis sera relâchée sans charges.
La DML d’un inculpé encore derrière les barreaux est acceptée. Il est libéré sous contrôle judiciaire strict (obligation de travailler, limité
à un seul département pour se déplacer, pointage deux fois par semaine au commissariat). Plus que deux au trou !
Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice, reconduit la mise à l’isolement du dernier inculpé (Libre Flot) derrière les barreaux. Après 12 mois d’isolement, il revient au ministre de la Justice de prendre la décision de reconduction. La situation de Libre Flot est de plus en plus critique.
Retour du dossier des nullités déposé par les avocat.es quelques mois plus tôt. Toutes les nullités (reposant sur la non-proportionnalité dans l’emploi des techniques de surveillance, sur des erreurs de procès verbaux et autres magouilles) sont catégoriquement refusées.
Le parquet national anti-terroriste (PNAT) a fait appel de la décision du juge pour la libération de l’inculpé sorti de prison 5 jours plus tôt. Rendez-vous est fixé au 27 octobre 2021, devant la Cour d’Appel de Paris, pour savoir si la libération est maintenue ou si il devra retourner en taule. La Cour d’Appel confirme la décision du juge des libertés, il reste « libre » !
L’inculpé emprisonné à Fleury-Mérogis est libéré sous contrôle judiciaire strict (pointage une fois par semaine, rdv SPIP et psy obligatoires une fois par mois, limite de déplacements à trois départements de la région parisienne). Le PNAT ne fait pas appel, ce coup-ci…
La DML de Libre Flot est refusée, malgré un dossier de faisabilité de bracelet électronique validé par les SPIP (services pénitentiaires d’insertion et de probation) dans deux départements différents.
Il entame une grève de la faim et explique ses revendications qu’il publie dans un texte. Il envoie quotidiennement des demandes de remises en liberté.
Dupont-Moretti reconduit l‘isolement alors que Libre Flot est en grève de la faim.
Après 25 jours de grève de la faim, Libre Flot est hospitalisé et transféré à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes. Il attendait cette hospitalisation médicale pour avoir accès directement à des médecins et aux soins nécessaires.
Ses avocats apprendront quelques jours plus tard que la levée de son régime d’isolement s’est faite le jour du transfert à l’hôpital. Néanmoins malgré la levée de son isolement il n’a pas le droit d’aller à la promenade car il est trop faible. Il obtient également le droit de communiquer avec l’une de ses coaccusé·es.
Cela ne met pas fin à sa grève de la faim puisque son unique revendication est bel et bien la fin de son incarcération. Son état de santé devient critique : il a perdu 16 kilos et est désormais sous perfusion.
Une journée internationale de soutien à Libre Flot est organisée : de nombreux rassemblements ont lieu en France (Lille, Albi, Paris, Toulouse, Limoges, Strasbourg, Rennes et d’autres villes encore), mais aussi dans de nombreux pays d’Europe (Grèce, Suisse, Allemagne, Angleterre, Ukraine, Portugal, Danemark, Finlande…) et au Rojava.
Il décide ce même jour à 18h de stopper sa grève de la faim.
C’est avec un grand soulagement que les proches et soutiens apprennent le transfert de Libre Flot dans un hôpital civil de la région parisienne, car il risquait sa vie à tout instant.
Ses médecins s’inquiétant de ne pouvoir assurer son suivi médical ont demandé son transfert dans un autre hôpital. Pour cela il fallait négocier avec la justice pour lui permettre de quitter les services pénitentiaires. Le juge d’instruction accepte après négociation avec les avocat.es sa libération pour raison médicale.
Il est libéré sous bracelet électronique avec une période de réadaptation dans un hôpital spécialisé dans la nutrition.
Jean Marc Herbaut, juge d’instruction, met fin à l’information judiciaire du dossier 8 décembre 2020. Cela met fin à la commission rogatoire qui permettait à la DGSI d’user « de tous les moyens à leur disposition » pour harceler les inculpé·es et leurs proches.
Cela signifie aussi que le dossier se clôt, laissant un délai de 3 mois aux inculpé·es et à leur Défense d’apporter les derniers éléments (demande d’actes, etc.). Passé ce délai, ce sera au PNAT de faire ses réquisitions.
Le juge accepte le retrait du bracelet électronique pour Libre Flot. Il reste néanmoins en contrôle judiciaire strict, comme les autres inculpé.es (obligation de travail, limité dans ses déplacements à un département, pointage une fois par semaine).
De nombreux allègements de CJ ont été faits, surtout en ce qui concerne l’élargissement des zones de déplacement. Une nouvelle demande de communiquer entre deux inculpés a été accepté.
Le PNAT requiert le tribunal correctionnel et non les assisses pour le procès.
Pendant son incarcération, Libre Flot a fait de nombreux recours contre son isolement carcéral. L’audience devant le tribunal administratif de Versailles se déroule le 4 avril. L’isolement est reconnu illégal et l’État condamné à 3000€ de dommages et intérêts.
En espérant que cela fasse jurisprudence, bien qu’on doute de l’impact réel sur l’administration pénitentiaire quand on voit la volonté à faire traîner ce genre de procédure.
Audience de fixation. C’est la première fois depuis presque trois ans que les inculpé·es se voient. C’est aussi la première fois qu’iels rencontrent le PNAT et la Juge qui présidera le procès. Iels demandent que l’interdiction de communiquer soit levée et que les CJ soient élargis. Tout est refusé en bloc par la Juge.